Extrait du livre de Gilbert CHAUSSIS - La Mayenne de village
en village
Lignières-la-Doucelle, associée à
la petite commune voisine d'Orgères-la-Roche, est devenue Lignières-Orgères.
Établie à 280 m d'altitude, aux confins de la Mayenne
et de l'Orne, à 74 km de Laval, 44 km de Mayenne et 10 km de
Couptrain, son chef-lieu de canton, elle appartient au Parc régional
« Normandie-Maine
» ayant son siège social au château de Carrouges
(63120 Carrouges). Ce parc qui intéresse la Basse-Normandie et
les Pays-de-Loire s'étend sur une superficie de 23 400 ha en
s'étalant sur 100 km d'est en ouest et sur 60 km du nord au sud.
En recouvrant partiellement 4 départements l'Orne, la Sarthe,
la Mayenne et la Manche, il englobe une grande diversité de paysages,
des forêts domaniales ou privées et de nombreuses vallées
qui se découpent sur un décor de bocage. Il offre des
distractions sportives et culturelles.
Lignières, « terre ou l'on cultivait le lin », a
longtemps conservé la particule « la Doucelle »,
nom de la famille qui a probablement possédé la seigneurie
de Resne (à 2 km sud-ouest du bourg) dès
le XIe siècle. On y dénombrait 855 habitants au dernier
recensement contre 1996 en 1726, 2600 en 1803, 2727 en 1831, 2572 en
1861, 1696 en 1891, 1516 en 1908 et 915 en 1969. La décroissance
de sa population à la fin du XIXe siècle est à
imputer à l'émigration de ses habitants dans les grandes
villes et surtout à Paris où ils s'établissaient
comme maraîchers.
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Doté d'une superficie de 3 483 ha, son territoire est occupé
par deux massifs. Le premier forme la limite nord-est de la commune.
Oxygéné par le bois de Monthard, il culmine à 372
m d'altitude. Après la Libération, les habitants de Lignières,
épargnés par les bombardements, y édifièrent
la statue du Sacré-Cœur.
Le second massif est ombragé par la forêt de la Monnaie
sur une superficie d'environ 600 ha ; elle forme la pointe sud-est de
la forêt d'Andaine ; les conifères y prédominent.
Tanguy Le Veneur, seigneur de Carrouges, et son épouse Guyonne
de Montjean rachetèrent, en 1570, les droits des usagers (qui
devaient probablement détruire cette forêt) en abandonnant
« 5 arpents de bois de haute futaie » au prieur de Saint-Calais-du-Désert,
« 12 arpents » au prieur de Saint-Ursin et « 500 arpents
» aux riverains.
Le second massif présente une altitude extrême de 321 m
et des vallées qui s'abaissent à 200 m en laissant le
passage à la Doucelle et au Tilleul, affluents de la Mayenne.
En 1696, 25 métairies et 40 bordages s'efforçaient d'exploiter
les terres cultivables de la paroisse, soit la moitié de sa superficie.
Elles produisaient du seigle, de l'avoine et du sarrasin. L'autre partie
entretenait des landes, des bruyères et la forêt de la
Monnaie. A cette époque, Lignières possédait des
eaux minérales, des gisements de minerai de fer et des tourbières.
Une grosse forge avec fenderie » installée au début
du XVIIe siècle au Moulin-Lassue, sur la Doucelle, cessa son
activité après 1664. En 1789, dans leur cahier de doléances,
les habitants se plaignaient de « leur terrain ingrat »,
divisé par « petites portions... sans ferme considérable,
aucune industrie ni commerce ». Au début du XIXe siècle,
deux fabriques de galoches employaient chacune, dans le bourg, une dizaine
d'ouvriers ; le commerce principal était celui des vaches «
de la race cotentine ». Les halles, qui s'élevaient au-devant
de « l'auditoire », furent détruites à cette
époque. De nos jours la commune possède de beaux pâturages
et des étangs, des champs de cultures variées et des élevages
de bovins et de porcins.
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Lignières entre dans l'histoire, vers 940-960, sous le nom de
« Linara cum ecclesia ». La donation à cette époque
d'un lieu nomme « Linaria » avec son église, par
l'évêque Maynard au Chapitre du Mans, peut concerner cette
localité qui devint « Presbyter de Linariis » en
1265, date à laquelle un certain Lucas était son recteur*.
Sa seigneurie paroissiale était rattachée à la
terre de Resné, centre d'une châtellenie qui a appartenu
aux familles de Doucelle, de La Ferté et de Rohan. La justice,
exercée par un procureur fiscal et un bailli, avait son siège
social au bourg à « l'auditoire », un « gros
pavillon aux murs épais d'un mètre, dont le premier étage
servait de prison ». En 1627, en s'évadant, des prisonniers
y tuèrent le concierge. Repris, ils furent écartelés
le 20 septembre de la même année. Un carcan décorait
sinistrement une maison faisant face à l'église ; quant
au gibet, il se dressait sur la route de Ciral.
Outre la découverte de plusieurs haches en bronze, en 1839, la
localité nous rappelle quelques événements qui
ont marqué son histoire. Occupée par les Anglais dès
1418, elle reçut d'Henri V des lettres de sauvegarde. La garnison
anglaise de Fresnay, sous les ordres de Richard Wideville, vint la piller
en 1444. En 1626, elle dut lutter contre une épidémie
de dysenterie. Une autre épidémie, « le mauvais
mal », dura du 18 mars 1637 jusqu'en novembre de la même
année : « on enterre dans les chemins et dans les jardins
». Elle redoubla d'intensité en 1638 et sévissait
encore en 1639. En 1647, la dysenterie fit une nouvelle apparition.
En 1787, Lignières connut un nouveau mal. « Ceux qui en
sont atteints rendent des vers de toutes sortes ». Rigault de
Longrais, chirurgien à Couptrain, attribua cette contagion «
à la nourriture grossière, aux habitations malsaines,
aux pays marécageux et rejette une partie du mal sur les charlatans
et jugeurs d'eau qui sont la cause de la dépopulation du pays
».
En 1789, les habitants demandaient « la suppression d'un certain
nombre d'abbayes et de couvents, l'attribution à un hôpital
des biens de Saint-Ursin,
la gratuité des sépultures et des mariages, une capitation
féminine de 24 livres sur les femmes portant chapeau ».
Au mois d'août 1790, des jeunes gens enlevèrent le banc
seigneurial de l'église. En novembre 1790, la commune assista
à une émeute et à la dissolution de son assemblée
électorale, ce qui motiva « l'appel et le séjour
d'un détachement comprenant trente hommes du Royal-Roussillon
et de soixante gardes nationaux de Couptrain et de Pré-en-Pail
». Le 14 mars 1793, les opérations de recrutement engendrèrent
de sérieux troubles et l'arrestation du procureur-syndic Lenormand
« Pour propos antipatriotiques ». Menacé et injurié,
le commissaire Juliot-Lérardière dut s'enfuir. Il se vengera,
le 19 novembre de la même année, en faisant emprisonner
tous « les suspects du canton ». Maîtres de la région,
les Chouans fusillèrent deux hommes dans le bourg, le 4 mai 1795,
et firent évacuer les administrations et les armes sur Lassay.
En 1797, de nouveaux troubles motivèrent l'envoi d'un détachement
de cavalerie à Lignières qui vit, le 20 octobre 1798,
les allées et venues de Frotté et de ses 300 hommes réquisitionnant
« chez les acquéreurs de biens nationaux et chez l'intrus,
auxquels ils défendent d'exercer, des vivres, du linge, mais
sans faire grand mal ». Le 11 novembre, les commissaires de la
municipalité s'étaient réfugiés, avec les
archives, à Pré-en-Pail. Le 25 janvier 1800, après
avoir battu les républicains à Saint-Patrice, Beauregard
vint coucher dans la bourgade où il consomma tous les vivres.
Au cours de son histoire, Lignières eut à déplorer
deux incendies sérieux. Le premier qui éclata au début
de l'année 1783 anéantit une quarantaine de maisons ;
le second (1805) dévora « la moitié du bourg ».
Elle subit l'occupation d'une compagnie de 400 francs-tireurs en 1871.
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L'église
est dédiée à l'Assomption. C'est le seul sanctuaire
mayennais reconstruit d'un seul jet au XVIIIe siècle (1712).
Rebâti en quatorze mois aux frais du curé de la paroisse,
Abel Man-doux (ancien missionnaire au Canada), et sur l'emplacement
de l'ancien édifice, il a la forme d'une croix latine et un toit
mansardé. Les portes latérales datent de 1753 et les travaux
de décoration intérieure furent effectués de 1847
à 1858. A la façade occidentale, la tour et son clocher
ont remplacé, en 1900, sur les plans de M. Hawke, « un
clocher en forme de dôme peu gracieux, surmonté d'une flèche
maigre ». Cette église dont la première pierre gravée
d'une inscription votive a été retrouvée renferme
trois retables du XVIIIe siècle et une statuaire d'origine. Son
inventaire se déroula le vendredi 9 mars 1906. Le percepteur
de Couptrain, accompagné de neuf gendarmes, ne put pénétrer
dans le sanctuaire qu'en défonçant, à coups de
masse de fer, les fenêtres de la sacristie. Gérard Leclerc
note les commentaires de L'Echo de la Mayenne sur cet événement
: « Voilà les gendarmes, les ennemis-nés du cambriolage,
qui sautent par les fenêtres et cambriolent les portes du sanctuaire,
jetant ainsi à la face du public le défi le plus anti-français
que l'on puisse imaginer. :
Le presbytère, très endommagé au cours de la tourmente
révolutionnaire, fut reconstruit en 1874 sur les plans de l'architecte
Godin et sur un devis de 29 514 francs. Le cimetière contigu
à l'église et ombragé par des ormeaux en 1746,
a été transféré sur la route de Joué-du-Bois,
dans un endroit appelé Chartrain (ou Chertemps) ayant déjà
servi de nécropole durant l'épidémie de 1637. A
l'entrée du bourg, à l'intersection des routes de Couptrain
et d'Orgères-la-Roche, la chapelle
de style flamboyant, dite « du Calvaire », est dédiée
aux saints Jean-Baptiste et Paul. Elle fut édifiée, en
1860, sur les plans de l'architecte Dromer de Javron, sur l'initiative
de M. Hutin et aux frais de M. Forton. A proximité on a élevé
un monument
de la Résistance et au sud, à la Fouchardière,
un monument
à la mémoire des Fusillés.
Resné
A 2 km au sud de Lignières, sur le versant nord de la forêt
de la Monnaie, le village de Resné conserve le nom d'une seigneurie
et d'un château, propriété de la famille de Doucelle,
dès le XIe siècle, à titre de sous-inféodation
de la baronnie de Mayenne. Mais du « chasteau ancien de Resné
», mentionné en 1530, et de ses douves, il ne subsiste
aujourd'hui aucune trace.
La famille de Doucelle donna à l'abbaye de Saint-Vincent les
églises de Doucelle, de Saint-Longis, du Ham et de Saint-Calais.
Elle a également fondé, à mi-chemin entre Resné
et Saint-Ursin, le prieuré de Saint-Maurice de Resné,
sur l'emplacement d'un ancien ermitage. Confirmé à l'abbaye
de Tyron (établie en 1108, dans le Perche, par saint Bernard
de Tyron), en 1147 par le pape Eugène III et en 1175 par Alexandre
III, ce prieuré possédait une chapelle qui servait encore
au culte en 1638. Ce sanctuaire tombait en ruines en 1723. Il a laissé
son nom au pré et au jardin de la Chapelle. Guillaume de Doucelle
fonda le prieuré de Saint-Ursin en 1302. La châtellenie
de Resné, propriété des Doucelle par lignée
féminine, connut Bernard de La Ferté (mari de Tiphaine
de Doucelle), Jean d'Usage, Guillaume de Mautauban puis, dès
1480, Louis de Rohan, époux de Marie de Montauban.
SOURCES PRINCIPALES :
Abbé Angot : Sites et monuments de la Mayenne.
Abbé Angot : Dictionnaire historique, topographique et biographique
de la Mayenne.
Abbé Angot : Epigraphie de la Mayenne.
Archives Ouest-France.
Abbé A. Durand : Le prieuré de Saint-Ursin.
Gérard Leclerc : 1900-1925 : Vingt-cinq ans d'actualité
mayennaire à travers la carte postale.
A. Ledru : Répertoire des monuments et objets anciens de la Sarthe
et de la Mayenne.
Pré-en-Pail : Plaquette éditée par le S.I. de Pré-en-Pail