Pendant l'Occupation, tout est rationné. Un adulte reçoit
250 grammes de pain et 15 g de matière grasse par jour, 180
g de viande et 40 g de fromage par semaine, 500 g de sucre par mois.
Le rutabaga devient le plat essentiel pour la majorité des
gens, le topinambour est en vogue et remplace la pomme de terre.
Le beurre vaut 16 francs la livre (il s'agit de francs « anciens
» bien sûr) mais on le trouve au marché noir
entre 30 et 50 francs. En ville, le bois coûte 10 francs les
20 kilos. Un chômeur touche de 6 à 12 francs quotidiennement.
Les chaussures sont à semelle de bois, même celles
de ville mais avec une articulation. Il n'y a pas de cuir pour ressemeler.
Seuls les sabots peuvent être obtenus sans tickets.
Les vélos remplacent les voitures car l'essence est contingentée
et réservée aux médecins, vétérinaires
et à ceux qui travaillent, même indirectement, pour
les Allemands. En ville, les taxis ont des petites remorques, d'une
ou deux places, parfois couvertes, tirées par des personnes
à vélo ou à tandem.
Les voitures fonctionnant au gaz (« gazogène »)
de bois ou de charbon de bois font leur apparition. En ville, les
transports collectifs fonctionnent au gaz de ville.
Le café est rationné ; on le touche mélangé
à de l'orge grillée. On peut compter les grains de
café dans une demi-livre de ce mélange ! On grille
cette céréale quand on peut en trouver ou de la févette
pour le petit déjeuner.
Le ragoût « Pétain » est à l'honneur,
composé de carottes, d'oignons, d'un peu de pommes de terre
et aromatisé de persil, thym et laurier... mais sans viande.
Le tabac étant rationné, il est cultivé au
jardin puis on le sèche dans le four de la cuisinière.
On fume aussi de l'armoise ou des feuilles de noyer séchées.
Les savons ressemblent plus à du plâtre et les gens
en fabriquent avec de la soude caustique, du suif et du lierre.
Il faut des bons pour obtenir des pneus de vélo.. .de très
mauvaise qualité. Aussi en fabrique-t-on avec de vieux pneus
d'automobile, des tuyaux d'arrosage ou même des bouchons.
Les agriculteurs sont imposés en œufs, orge, avoine,
blé et bétail et des chevaux sont réquisitionnés.
Les artisans doivent fournir un certain contingent de métaux
dont du laiton et du cuivre.
C'est le début des textiles en rayonne et il faut des tickets
pour obtenir pantalons, chemises ou vestes de médiocre qualité.
On fait faire des pantalons avec des draps de lit préalablement
teints en bleu marine ou en marron. Les femmes remettent au goût
du jour leurs vieilles robes : avec plusieurs, elles en font une
à la mode.
Les enfants des écoles récoltent des glands pour en
extraire de l'huile. Ils vont aussi sur les heures d'école
! ramasser les doryphores dans les champs de pomme de terre. Pour
la viande, les boutiques ouvrent deux jours par semaine afin d'honorer
les tickets. On fait la queue en espérant être servi...
sinon ce sera pour la prochaine fois.
Comme les rations de pain sont minimes, mon Père, pour les
améliorer, avait trouvé 100 kg de blé chez
un cultivateur. Mais il fallait en faire de la farine et pour moudre
il n'y avait que le moulin à café. Seulement le blé
étant plus mou que le café, l'appareil s'encrassait
rapidement. Il est vite nécessaire de le démonter
et le nettoyer, c'était mon boulot. Alors, le soir, au retour
du travail, j'opérais en préparant ce qu'il en fallait
pour la soupe afin d'y remplacer le pain. Je passais la mouture
dans un tamis pour séparer le son et ainsi de suite au fil
des jours. Les 100 kg ont ainsi transité par le moulin à
café mais comme du blé. il n'y en
eût pas d'autre, cela a fait bien peu pour quatre ans de restrictions
et une famille de cinq personnes !
Le chocolat est aussi rationné. Seules quelques catégories
comme les « J3 » (adolescents de 13 à 21 ans,
selon la terminologie de l'époque) y ont droit. Il arrive
que l'on puisse se procurer « par combine » de l'écorce
de cacao dont on fait une tisane au vague goût de chocolat.
Beaucoup de foyers ne sont pas électrifiés et s'éclairent
au pétrole, lui aussi contingenté. Chez nous, on touchait
pour cinq personnes deux litres par mois. Or en utilisant notre
lampe d'avant-guerre cette quantité durait huit jours. Aussi
on employait une lampe « Pigeon » à essence que
l'on faisait fonctionner au pétrole tout le mois : la consommation
était réduite, la luminosité également
!
Quant à ceux qui disposaient de l'électricité,
ils étaient soumis à de fréquentes coupures
qui iront en s'amplifiant à l'approche de la Libération.
Fin 1944 et début 1945, nous sommes certes libérés
mais les restrictions sont toujours là. Le pain est quand
même de meilleure qualité. Pendant environ un mois,
le boulanger qui avait touché de la farine de maïs,
soi-disant américaine, préparait un pain à
mie jaune comme des brioches mais sans en avoir la saveur. Il fallait
le consommer dans la journée car le lendemain il devenait
très dur et n'était bon que pour le petit déjeuner
? Etait-ce dû à l'inexpérience du boulanger
? C'était quand même meilleur que le pain de la dernière
année d'Occupation gris, pâteux et plus que complet
car on y trouvait même de la paille !
J'ai parlé plus haut du manque d'essence et du recours au
gazogène. Pour cela il faut utiliser du bois et du charbon
de bois.
Dans les forêts de Lignières, du charbon de bois est
fabriqué, à partir de 1941, à Monthard, Monnaye
et La Croix Guillaume.
A Monthard, sur le versant de la commune, les coupes avaient été
acquises par la Maison Citroën d'Angers qui employait une équipe
de bûcherons pour l'abattage et la mise en stères et
une autre de charbonniers pour transformer le bois en charbon de
bois à l'aide de fours « MAGNIEN » en tôle.
Le maître-charbonnier était M. LEBORGNE. Un camion
venait chercher d'Angers, tous les dix jours, le charbon qui servait
à alimenter les gazogènes de leurs camions.
Sur le versant de Carrouges la ressource avait été
acquise par la Maison Citroën de Nantes et deux équipes
y étaient également employées sous l'autorité
de M. LEBEAU dont le gendre, Robert CHEVRIER fut pour moi un bon
copain. J'ai travaillé avec eux quelque temps. Là,
les fours « MAGNIEN » étaient aussi utilisés
: ils avaient trois parties principales, en tôle. La partie
qui servait de couvercle avait une ouverture de trente centimètres
de diamètre qui servait d'abord pour l'allumage puis de cheminée.
Un camion, conduit par M. METAYER, venait de Nantes, tous les dix
jours aussi, chercher le charbon entreposé sur la route de
Carrouges à Joué-du-Bois au lieu-dit Les Miées.
Dans la forêt du Domaine de Monnaye, la maison des «
Vins du Postillon » - ancienne maison GERBAULT - avait acheté
la ferme et la forêt pour les exploiter et employait donc
les bûcherons et des charbonniers, le produit obtenu servant
aussi à faire fonctionner les camions de l'entreprise. Les
fours en fer utilisés présentaient une double épaisseur
ce qui faisait moins chauffer la tôle et étaient plus
hauts... et moins faciles à monter. Le maître-charbonnier
se nommait Léon LEPINAY, assisté plus tard de Francis
RICHER. Un camion les « Vins du Postillon » conduit
par M. DUGARDIN, remplacé parfois par M. BOULAT, venait chercher
régulièrement le charbon de bois.
Une découpeuse de bois a haut rendement était en activité
dans la forêt, appareil puissant équipé d'un
moteur Renault fonctionnant à l'alcool, indépendant
de la machine et monté sui un chariot à quatre roues.
En 1950, il n'était plus fabriqué de charbon de bois
au Domaine de Monnaye mais, avec les pénuries d'essence en
1956 suite à la nationalisation du Canal de Suez, il en sera
à nouveau préparé dans les années 60,
en meule, le propriétaire de la forêt étant
alors la Compagnie des « Polders de l'Ouest ».
Quant à La Croix Guillaume, on y trouvait aussi des bûcherons
et des charbonniers utilisant
des fours « MAGNIEN" . Le bois était coupé
en petits morceaux à l'aide d'une « super-
découpeuse » actionnée par un moteur BERNARD
fonctionnant au gaz pauvre (gaz de charbon de bois ou de bois).
A une extrémité de cette découpeuse était
monté un appareil comprenant un volant lourd muni de deux
couteaux : le bois coupé était introduit dans les
générateurs de gazogène. A l'autre bout était
montée une scie circulaire destinée à débiter
préalablement le bois en stères.
M. Guy DESLOGES (habitant aujourd'hui Saint-Pierre-des-Nids) et
son Père, maître-charbonnier, avaient la charge de
faire fonctionner cette remarquable et imposante machine, aujourd'hui
restaurée et exposée au Musée de l'Outil et
du Moteur de Lignières-Orgères.