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LIGNIERES ORGERES

HISTOIRE
La Vie sous l' Occupation : quelques souvenirs à Lignières

Par André ROBERT

Pendant l'Occupation, tout est rationné. Un adulte reçoit 250 grammes de pain et 15 g de matière grasse par jour, 180 g de viande et 40 g de fromage par semaine, 500 g de sucre par mois.
Le rutabaga devient le plat essentiel pour la majorité des gens, le topinambour est en vogue et remplace la pomme de terre.
Le beurre vaut 16 francs la livre (il s'agit de francs « anciens » bien sûr) mais on le trouve au marché noir entre 30 et 50 francs. En ville, le bois coûte 10 francs les 20 kilos. Un chômeur touche de 6 à 12 francs quotidiennement.
Les chaussures sont à semelle de bois, même celles de ville mais avec une articulation. Il n'y a pas de cuir pour ressemeler. Seuls les sabots peuvent être obtenus sans tickets.
Les vélos remplacent les voitures car l'essence est contingentée et réservée aux médecins, vétérinaires et à ceux qui travaillent, même indirectement, pour les Allemands. En ville, les taxis ont des petites remorques, d'une ou deux places, parfois couvertes, tirées par des personnes à vélo ou à tandem.
Les voitures fonctionnant au gaz (« gazogène ») de bois ou de charbon de bois font leur apparition. En ville, les transports collectifs fonctionnent au gaz de ville.
Le café est rationné ; on le touche mélangé à de l'orge grillée. On peut compter les grains de café dans une demi-livre de ce mélange ! On grille cette céréale quand on peut en trouver ou de la févette pour le petit déjeuner.
Le ragoût « Pétain » est à l'honneur, composé de carottes, d'oignons, d'un peu de pommes de terre et aromatisé de persil, thym et laurier... mais sans viande.
Le tabac étant rationné, il est cultivé au jardin puis on le sèche dans le four de la cuisinière. On fume aussi de l'armoise ou des feuilles de noyer séchées.
Les savons ressemblent plus à du plâtre et les gens en fabriquent avec de la soude caustique, du suif et du lierre.
Il faut des bons pour obtenir des pneus de vélo.. .de très mauvaise qualité. Aussi en fabrique-t-on avec de vieux pneus d'automobile, des tuyaux d'arrosage ou même des bouchons.
Les agriculteurs sont imposés en œufs, orge, avoine, blé et bétail et des chevaux sont réquisitionnés.
Les artisans doivent fournir un certain contingent de métaux dont du laiton et du cuivre.
C'est le début des textiles en rayonne et il faut des tickets pour obtenir pantalons, chemises ou vestes de médiocre qualité. On fait faire des pantalons avec des draps de lit préalablement teints en bleu marine ou en marron. Les femmes remettent au goût du jour leurs vieilles robes : avec plusieurs, elles en font une à la mode.
Les enfants des écoles récoltent des glands pour en extraire de l'huile. Ils vont aussi sur les heures d'école ! ramasser les doryphores dans les champs de pomme de terre. Pour la viande, les boutiques ouvrent deux jours par semaine afin d'honorer les tickets. On fait la queue en espérant être servi... sinon ce sera pour la prochaine fois.
Comme les rations de pain sont minimes, mon Père, pour les améliorer, avait trouvé 100 kg de blé chez un cultivateur. Mais il fallait en faire de la farine et pour moudre il n'y avait que le moulin à café. Seulement le blé étant plus mou que le café, l'appareil s'encrassait rapidement. Il est vite nécessaire de le démonter et le nettoyer, c'était mon boulot. Alors, le soir, au retour du travail, j'opérais en préparant ce qu'il en fallait pour la soupe afin d'y remplacer le pain. Je passais la mouture dans un tamis pour séparer le son et ainsi de suite au fil des jours. Les 100 kg ont ainsi transité par le moulin à café mais comme du blé. il n'y en
eût pas d'autre, cela a fait bien peu pour quatre ans de restrictions et une famille de cinq personnes !
Le chocolat est aussi rationné. Seules quelques catégories comme les « J3 » (adolescents de 13 à 21 ans, selon la terminologie de l'époque) y ont droit. Il arrive que l'on puisse se procurer « par combine » de l'écorce de cacao dont on fait une tisane au vague goût de chocolat.
Beaucoup de foyers ne sont pas électrifiés et s'éclairent au pétrole, lui aussi contingenté. Chez nous, on touchait pour cinq personnes deux litres par mois. Or en utilisant notre lampe d'avant-guerre cette quantité durait huit jours. Aussi on employait une lampe « Pigeon » à essence que l'on faisait fonctionner au pétrole tout le mois : la consommation était réduite, la luminosité également !
Quant à ceux qui disposaient de l'électricité, ils étaient soumis à de fréquentes coupures qui iront en s'amplifiant à l'approche de la Libération.
Fin 1944 et début 1945, nous sommes certes libérés mais les restrictions sont toujours là. Le pain est quand même de meilleure qualité. Pendant environ un mois, le boulanger qui avait touché de la farine de maïs, soi-disant américaine, préparait un pain à mie jaune comme des brioches mais sans en avoir la saveur. Il fallait le consommer dans la journée car le lendemain il devenait très dur et n'était bon que pour le petit déjeuner ? Etait-ce dû à l'inexpérience du boulanger ? C'était quand même meilleur que le pain de la dernière année d'Occupation gris, pâteux et plus que complet car on y trouvait même de la paille !
J'ai parlé plus haut du manque d'essence et du recours au gazogène. Pour cela il faut utiliser du bois et du charbon de bois.
Dans les forêts de Lignières, du charbon de bois est fabriqué, à partir de 1941, à Monthard, Monnaye et La Croix Guillaume.
A Monthard, sur le versant de la commune, les coupes avaient été acquises par la Maison Citroën d'Angers qui employait une équipe de bûcherons pour l'abattage et la mise en stères et une autre de charbonniers pour transformer le bois en charbon de bois à l'aide de fours « MAGNIEN » en tôle. Le maître-charbonnier était M. LEBORGNE. Un camion venait chercher d'Angers, tous les dix jours, le charbon qui servait à alimenter les gazogènes de leurs camions.
Sur le versant de Carrouges la ressource avait été acquise par la Maison Citroën de Nantes et deux équipes y étaient également employées sous l'autorité de M. LEBEAU dont le gendre, Robert CHEVRIER fut pour moi un bon copain. J'ai travaillé avec eux quelque temps. Là, les fours « MAGNIEN » étaient aussi utilisés : ils avaient trois parties principales, en tôle. La partie qui servait de couvercle avait une ouverture de trente centimètres de diamètre qui servait d'abord pour l'allumage puis de cheminée. Un camion, conduit par M. METAYER, venait de Nantes, tous les dix jours aussi, chercher le charbon entreposé sur la route de Carrouges à Joué-du-Bois au lieu-dit Les Miées.
Dans la forêt du Domaine de Monnaye, la maison des « Vins du Postillon » - ancienne maison GERBAULT - avait acheté la ferme et la forêt pour les exploiter et employait donc les bûcherons et des charbonniers, le produit obtenu servant aussi à faire fonctionner les camions de l'entreprise. Les fours en fer utilisés présentaient une double épaisseur ce qui faisait moins chauffer la tôle et étaient plus hauts... et moins faciles à monter. Le maître-charbonnier se nommait Léon LEPINAY, assisté plus tard de Francis RICHER. Un camion les « Vins du Postillon » conduit par M. DUGARDIN, remplacé parfois par M. BOULAT, venait chercher régulièrement le charbon de bois.
Une découpeuse de bois a haut rendement était en activité dans la forêt, appareil puissant équipé d'un moteur Renault fonctionnant à l'alcool, indépendant de la machine et monté sui un chariot à quatre roues.
En 1950, il n'était plus fabriqué de charbon de bois au Domaine de Monnaye mais, avec les pénuries d'essence en 1956 suite à la nationalisation du Canal de Suez, il en sera à nouveau préparé dans les années 60, en meule, le propriétaire de la forêt étant alors la Compagnie des « Polders de l'Ouest ».
Quant à La Croix Guillaume, on y trouvait aussi des bûcherons et des charbonniers utilisant
des fours « MAGNIEN" . Le bois était coupé en petits morceaux à l'aide d'une « super-
découpeuse » actionnée par un moteur BERNARD fonctionnant au gaz pauvre (gaz de charbon de bois ou de bois). A une extrémité de cette découpeuse était monté un appareil comprenant un volant lourd muni de deux couteaux : le bois coupé était introduit dans les générateurs de gazogène. A l'autre bout était montée une scie circulaire destinée à débiter préalablement le bois en stères.
M. Guy DESLOGES (habitant aujourd'hui Saint-Pierre-des-Nids) et son Père, maître-charbonnier, avaient la charge de faire fonctionner cette remarquable et imposante machine, aujourd'hui restaurée et exposée au Musée de l'Outil et du Moteur de Lignières-Orgères.

    ( extrait du bulletin municipal N°22 de 2008 par André ROBERT )