Dans les années 1930 et avant, la richesse des gens aisés
se comptait aussi au nombre de paires de draps de lit qui étaient
entreposés dans la grande armoire de la maison.
Pour le « petit linge » : mouchoirs, caleçons, chaussettes,
… la lessive était souvent faite, mais pour la grande lessive
– appelée « la buée » - et qui concernait
les draps et linges en grosse toile, l’opération n’avait
lieu que deux voire trois fois par an et c’était un événement
dans le village !
Chez nos voisins, les CATOIS, les deux jours de « buée
» mobilisaient trois personnes : les deux bonnes de la maison
et une laveuse professionnelle.
Au cours de la première journée, les laveuses devaient
faire l’essangeage (les laveuses disaient « l’échange
») c’est-à-dire le décrassage du linge avant
l’échaudage. Cela se pratiquait au lavoir de La Cornière
où les personnes s’installaient à genoux dans leur
« carrosse » - casseau en parler régional –
après avoir mis de vieux chiffons ou de la paille pour être
plus confortablement installées. Elles décrassaient les
draps par un bon savonnage et un brossage énergique (brosse en
chiendent) sur une planche à laver rainurée sur le dessus
afin de faciliter l’évacuation de l’eau. Le linge
était ensuite laissé à tremper dans une cuve en
peuplier.
Le lendemain, c’était « la buée » proprement
dite : le linge était placé dans une cuve en bois blanc,
presque toujours en peuplier, qui reposait sur un tréteau en
forme de T, dénommé « selle à cuveau ».
Les autres bois, comme le chêne, étaient proscrits en raison
de leurs tannins qui auraient taché le linge.
De la base de cette cuve sortait comme un demi-tuyau en fer, d’environ
1,50 mètre qui allait se poser sur le dessus d’une chaudière
en fonte sous laquelle il y avait un foyer. Cela permettait d’observer
et de surveiller le passage de la lessive de la cuve à la chaudière.
On mettait dans la chaudière – d’environ 90 cm de
diamètre – l’eau, les cristaux de soude, des feuilles
de lierre et parfois de la cendre de bois. Le feu était allumé
et quand l’ébullition arrivait, l’une des laveuses,
munie d’une puisette dite « vide buée » (sorte
de petit seau sans anses avec un long manche), prenait la lessive bouillante
dans la chaudière, la versait sur le linge de la cuve et reproduisait
cela pendant un certain temps, parfois plus d’une heure. Cet «
échaudage » durait jusqu’au moment où la lessive
de la cuve sortait aussi chaude que celle de la chaudière.
Alors, suivait le transport du linge au lavoir avec la brouette. On
procédait au lavage, comme pour l’essangeage, avec savonnage
et brossage.
Ensuite, et après un premier rinçage, les draps étaient
essorés à grands coups de battoir puis ces opérations
répétées.
Ces dames sortaient le linge à l’extérieur du lavoir
et deux laveuses prenaient un drap chacune par un bout, l’étiraient
et le tordaient énergiquement pour expulser le reste de l’eau
et ainsi de suite avec les autres draps.
Quand c’était terminé, elles chargeaient le tout
sur une brouette dont le plancher à claire-voie était
fait de lattes de peuplier placées à intervalle régulier.
Après transport à la maison CATOIS, intervenait le séchage
soit sur herbe, soit sur fil.
Ce genre de lessive a disparu petit à petit avec l’apparition
des lessiveuses puis de machines à laver à main, assez
rudimentaires, à la fin des années 30 et qu’il fallait
chauffer au bois.
Après guerre, les machines furent modernisées année
après année pour arriver aux appareils actuels qui non
seulement lavent mais essorent aussi ! La « chauffe » se
fait grâce à l’électricité et l’électronique
règne en maître…
Au temps de « la buée », un enfant était
souvent embauché pour entretenir le feu sous la chaudière.
Je l’ai souvent fait chez les CATOIS où j’avais
droit, dans la matinée, à une tartine de confiture ou
de rillettes…cela quand « la buée » avait lieu
le jeudi ou pendant les vacances !
J’ai aussi fréquemment vu cette opération chez
Madame COUPRIT, notre plus proche voisine, mais alors je regardais,
sans participer.
A l’époque, on disait d’une personne nonchalante
: « c’est une vraie buée »…