En 1935 et avant, à La Cornière, était installé
un atelier fixe de distillation du cidre afin de préparer du
Calvados (« goutte » en parler régional).
C'était Monsieur BROUSSIN de La Noë-Besniard, grand-père
de Madame FOUSSARD et arrière-grand-père de Didier qui
assurait la marche de cet ensemble en venant plusieurs fois dans l'année
« bouillir » le cidre et aussi le poiré que lui amenaient
les récoltants. Le second fournissait, paraît-il, plus
d'alcool.
L'alambic en fonction était « à repasse »
ce qui signifie que le cidre était chauffé une première
fois mais comme le produit obtenu présentait un trop faible degré,
il fallait le mettre une seconde fois dans la cuve de l'alambic et,
en renouvelant ainsi l'opération, on obtenait alors une richesse
alcoolique convenable.
Ce matériel, assez rudimentaire, était situé à
proximité du côté droit du
lavoir et du ruisseau parallèle à la route. Il y avait
entre le ruisseau et la route
une bande de terrain d'environ cinq mètres de large sur laquelle
avait été
construite une cabane en planches, couverte en tôles, servant
à faire, à l'abri, les fameux « papiers »
relatifs aux droits de Régie et qui étaient remplis par
Monsieur BROUSSIN [un autre atelier fixe était situé route
de Ciral, à Verdré. La cabane a longtemps subsisté
et dans les années 60, elle servait à « loger »
les vélos des pêcheurs et parfois, semble-t-il, à
d'autres activités...].
L'alambic était composé d'un foyer en grosse tôle
d'environ 1,30 m de diamètre et de 0,90 m de hauteur avec, sur
son arrière, une sortie où venait se positionner un tuyau
de poêle qui montait à la verticale. Ce foyer était
installé sur une petite murette circulaire d'environ vingt centimètres
de haut. Au-dessus venait s'engager, assez profondément, une
sorte de marmite en cuivre en forme de ballon aplati. Elle disposait
dans sa partie haute et en son milieu d'une ouverture d'une cinquantaine
de centimètres de diamètre destinée à recevoir
la seconde partie, en cuivre, de l'alambic.
Celle-ci était un genre de tuyau avec un renflement de 60 cm
par 30 de hauteur ressemblant à un ballon coupé en deux,
surmonté d'un rétrécissement formant tuyau de 10
cm de diamètre, montant à la verticale sur 50 cm puis
prenant la forme d'un « col de cygne » assez important qui
partait ensuite à l'horizontale sous un diamètre réduit
à 5 cm. Cette partie allait s'emboîter dans le tuyau du
serpentin qui sortait d'une cuve en bois, montée comme un tonneau
et située à 2,50 m du foyer. Elle avait un diamètre
de 90 cm et une hauteur de 2 m et était également placée
sur une murette circulaire de 20 cm de haut.
Le serpentin descendait à l'intérieur de cette cuve remplie
d'eau - d'où la nécessité d'être au voisinage
d'un point d'eau - et sortait à l'extérieur, à
la base de la cuve, en dépassant de 20 cm. On plaçait
dessous un seau destiné à récupérer l'alcool.
Pour mesurer la quantité de « goutte », Monsieur
BROUSSIN se servait d'un récipient spécial, parfois en
cuivre, et gradué en dix parties d'un litre chacune.
Quand les récoltants - il s'agissait le plus souvent d'agriculteurs
- arrivaient avec leurs chargements, la manœuvre n'était
pas aisée, sauf à passer à gué dans le ruisseau
qui sortait du lavoir. Or, les tombereaux étaient bien chargés
de fûts de cidre et de bois nécessaire à la chauffe,
fourni gratuitement par le « client » selon une convention
établie. Le premier de la journée apportait aussi le café
qu'il partageait avec Monsieur BROUSSIN et qui était accompagné
de « vieille » !
Les tombereaux et charrettes demeuraient en conséquence sur le
bas-côté de la route qui dominait d'environ deux mètres.
Ils se trouvaient à cinq ou six mètres de l'atelier et
la position était pratique pour siphonner le cidre.
Un escalier fait dans la terre avec des contremarches en bois avait
été aménagé au niveau du talus ce qui permettait
d'accéder à l'atelier en passant sur un petit pont de
bois jeté en travers du ruisseau.
Les tonneaux restaient dans les tombereaux en attendant le transvasement
de leur contenu dans l'alambic.
La « bouillerie » se pratiquait ainsi : on enlevait la partie
« col de cygne » démontable et on amorçait
par aspiration un tuyau mis dans le tonneau et dont l'autre bout était
dans la cuve. Quand celle-ci était pleine, on replaçait
le « col de cygne », on allumait le feu et la « chauffe
» commençait. Il n'y avait qu'à attendre : le cidre
bouillant dégageait des vapeurs d'alcool qui se condensaient
en passant dans le serpentin puis un filet de liquide tombait dans le
seau. Mais comme ce dernier ne présentait pas le degré
voulu, il fallait, comme indiqué précédemment,
renouveler l'opération.
La seconde fois, à la fin de la « chauffe », le bouilleur
contrôlait le degré de la « goutte » avec son
alcoomètre et il ne restait plus qu'à la mettre dans les
récipients amenés par les clients : bonbonnes ou petits
fûts et à remplir les papiers relatifs à la réglementation
sur l'alcool.
Quand la « bouillerie » - qui durait plusieurs jours - était
terminée, Monsieur BROUSSIN démontait le « col de
cygne » et le portait chez Mademoiselle Madeleine MARTINEAU, buraliste,
afin d'éviter l'usage de l'alambic en dehors des périodes
prévues pour la distillation. C'était la loi et la réglementation
!
Un autre atelier avait existé plus en aval, dont il ne subsistait
que la cuve de refroidissement en mauvais état. Je n'en ai pas
de souvenir ni de la personne qui en fut responsable.
L'atelier de Monsieur BROUSSIN fut supprimé et enlevé
en 1938 ou 1939. Par la suite, la donne avait changé : le temps
des « ambulants » était venu.
Messieurs DOUARD et PORTIER avaient chacun un alambic mobile ; ils venaient
« bouillir » sur l'emplacement de l'ancien atelier. Les
appareils étaient-ils « à repasse » ? Sinon,
rien n'avait changé dans le mode opératoire et factures
et droits étaient toujours réglés dans la cabane.
Le premier était occupé à « bouillir »
le 13 juin 1944 quand, au début de l'après-midi, des Allemands
qui avaient investi la ferme CATOIS étaient venus l'« inviter
» à se rendre, avec d'autres personnes, dans la salle à
manger de la ferme. Il avait conservé de ces moments un bien
mauvais souvenir...
Le dernier « bouilleur », Monsieur LETISSIER, a employé
l'ancien atelier pendant quelque temps ; il s'est installé par
la suite près de la mare, en bordure du chemin, à l'entrée
du pré de Madame COUPRIT, ce qui était beaucoup plus pratique.
Aujourd'hui, les gens ayant le droit de faire distiller étant
beaucoup moins nombreux, la « bouillerie » se passe à
la ferme.
Etant enfant dans les années 1936-1937, il m'arrivait, lors de
parties de cache-cache avec les copains, d'aller me cacher dans la cuve
en cuivre où je tenais très à l'aise !
Quand au lavoir, il n'existe plus. A cette époque, il y avait
tous les jours six ou sept laveuses. Les jours où certaines familles
aisées faisaient la « buée » pour le gros
linge, ses deux côtés étaient occupés.
Ce lavoir avait une charpente en bois et était couvert et bordé
de tôles. Sur un madrier de la charpente, quelqu'un avait écrit
« magasin de poules d'eau ». Mais l'histoire du lavoir est
une autre histoire...