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LIGNIERES ORGERES

HISTOIRE
LE BOUILLEUR de CRU

Par André ROBERT


En 1935 et avant, à La Cornière, était installé un atelier fixe de distillation du cidre afin de préparer du Calvados (« goutte » en parler régional).
C'était Monsieur BROUSSIN de La Noë-Besniard, grand-père de Madame FOUSSARD et arrière-grand-père de Didier qui assurait la marche de cet ensemble en venant plusieurs fois dans l'année « bouillir » le cidre et aussi le poiré que lui amenaient les récoltants. Le second fournissait, paraît-il, plus d'alcool.
L'alambic en fonction était « à repasse » ce qui signifie que le cidre était chauffé une première fois mais comme le produit obtenu présentait un trop faible degré, il fallait le mettre une seconde fois dans la cuve de l'alambic et, en renouvelant ainsi l'opération, on obtenait alors une richesse alcoolique convenable.
Ce matériel, assez rudimentaire, était situé à proximité du côté droit du
lavoir et du ruisseau parallèle à la route. Il y avait entre le ruisseau et la route
une bande de terrain d'environ cinq mètres de large sur laquelle avait été
construite une cabane en planches, couverte en tôles, servant à faire, à l'abri, les fameux « papiers » relatifs aux droits de Régie et qui étaient remplis par Monsieur BROUSSIN [un autre atelier fixe était situé route de Ciral, à Verdré. La cabane a longtemps subsisté et dans les années 60, elle servait à « loger » les vélos des pêcheurs et parfois, semble-t-il, à d'autres activités...].
L'alambic était composé d'un foyer en grosse tôle d'environ 1,30 m de diamètre et de 0,90 m de hauteur avec, sur son arrière, une sortie où venait se positionner un tuyau de poêle qui montait à la verticale. Ce foyer était installé sur une petite murette circulaire d'environ vingt centimètres de haut. Au-dessus venait s'engager, assez profondément, une sorte de marmite en cuivre en forme de ballon aplati. Elle disposait dans sa partie haute et en son milieu d'une ouverture d'une cinquantaine de centimètres de diamètre destinée à recevoir la seconde partie, en cuivre, de l'alambic.
Celle-ci était un genre de tuyau avec un renflement de 60 cm par 30 de hauteur ressemblant à un ballon coupé en deux, surmonté d'un rétrécissement formant tuyau de 10 cm de diamètre, montant à la verticale sur 50 cm puis prenant la forme d'un « col de cygne » assez important qui partait ensuite à l'horizontale sous un diamètre réduit à 5 cm. Cette partie allait s'emboîter dans le tuyau du serpentin qui sortait d'une cuve en bois, montée comme un tonneau et située à 2,50 m du foyer. Elle avait un diamètre de 90 cm et une hauteur de 2 m et était également placée sur une murette circulaire de 20 cm de haut.
Le serpentin descendait à l'intérieur de cette cuve remplie d'eau - d'où la nécessité d'être au voisinage d'un point d'eau - et sortait à l'extérieur, à la base de la cuve, en dépassant de 20 cm. On plaçait dessous un seau destiné à récupérer l'alcool.
Pour mesurer la quantité de « goutte », Monsieur BROUSSIN se servait d'un récipient spécial, parfois en cuivre, et gradué en dix parties d'un litre chacune.
Quand les récoltants - il s'agissait le plus souvent d'agriculteurs - arrivaient avec leurs chargements, la manœuvre n'était pas aisée, sauf à passer à gué dans le ruisseau qui sortait du lavoir. Or, les tombereaux étaient bien chargés de fûts de cidre et de bois nécessaire à la chauffe, fourni gratuitement par le « client » selon une convention établie. Le premier de la journée apportait aussi le café qu'il partageait avec Monsieur BROUSSIN et qui était accompagné de « vieille » !


Les tombereaux et charrettes demeuraient en conséquence sur le bas-côté de la route qui dominait d'environ deux mètres. Ils se trouvaient à cinq ou six mètres de l'atelier et la position était pratique pour siphonner le cidre.
Un escalier fait dans la terre avec des contremarches en bois avait été aménagé au niveau du talus ce qui permettait d'accéder à l'atelier en passant sur un petit pont de bois jeté en travers du ruisseau.
Les tonneaux restaient dans les tombereaux en attendant le transvasement de leur contenu dans l'alambic.
La « bouillerie » se pratiquait ainsi : on enlevait la partie « col de cygne » démontable et on amorçait par aspiration un tuyau mis dans le tonneau et dont l'autre bout était dans la cuve. Quand celle-ci était pleine, on replaçait le « col de cygne », on allumait le feu et la « chauffe » commençait. Il n'y avait qu'à attendre : le cidre bouillant dégageait des vapeurs d'alcool qui se condensaient en passant dans le serpentin puis un filet de liquide tombait dans le seau. Mais comme ce dernier ne présentait pas le degré voulu, il fallait, comme indiqué précédemment, renouveler l'opération.
La seconde fois, à la fin de la « chauffe », le bouilleur contrôlait le degré de la « goutte » avec son alcoomètre et il ne restait plus qu'à la mettre dans les récipients amenés par les clients : bonbonnes ou petits fûts et à remplir les papiers relatifs à la réglementation sur l'alcool.
Quand la « bouillerie » - qui durait plusieurs jours - était terminée, Monsieur BROUSSIN démontait le « col de cygne » et le portait chez Mademoiselle Madeleine MARTINEAU, buraliste, afin d'éviter l'usage de l'alambic en dehors des périodes prévues pour la distillation. C'était la loi et la réglementation !
Un autre atelier avait existé plus en aval, dont il ne subsistait que la cuve de refroidissement en mauvais état. Je n'en ai pas de souvenir ni de la personne qui en fut responsable.
L'atelier de Monsieur BROUSSIN fut supprimé et enlevé en 1938 ou 1939. Par la suite, la donne avait changé : le temps des « ambulants » était venu.
Messieurs DOUARD et PORTIER avaient chacun un alambic mobile ; ils venaient « bouillir » sur l'emplacement de l'ancien atelier. Les appareils étaient-ils « à repasse » ? Sinon, rien n'avait changé dans le mode opératoire et factures et droits étaient toujours réglés dans la cabane.
Le premier était occupé à « bouillir » le 13 juin 1944 quand, au début de l'après-midi, des Allemands qui avaient investi la ferme CATOIS étaient venus l'« inviter » à se rendre, avec d'autres personnes, dans la salle à manger de la ferme. Il avait conservé de ces moments un bien mauvais souvenir...
Le dernier « bouilleur », Monsieur LETISSIER, a employé l'ancien atelier pendant quelque temps ; il s'est installé par la suite près de la mare, en bordure du chemin, à l'entrée du pré de Madame COUPRIT, ce qui était beaucoup plus pratique.
Aujourd'hui, les gens ayant le droit de faire distiller étant beaucoup moins nombreux, la « bouillerie » se passe à la ferme.
Etant enfant dans les années 1936-1937, il m'arrivait, lors de parties de cache-cache avec les copains, d'aller me cacher dans la cuve en cuivre où je tenais très à l'aise !
Quand au lavoir, il n'existe plus. A cette époque, il y avait tous les jours six ou sept laveuses. Les jours où certaines familles aisées faisaient la « buée » pour le gros linge, ses deux côtés étaient occupés.
Ce lavoir avait une charpente en bois et était couvert et bordé de tôles. Sur un madrier de la charpente, quelqu'un avait écrit « magasin de poules d'eau ». Mais l'histoire du lavoir est une autre histoire...

extrait du BM N°23 An 2009