Le dimanche 13 août 1944, très tôt le matin, des
convois allemands venant de Joué-du-Bois se dirigent vers Carrouges
et Ciral. Ils reviennent, désemparés, n’ayant pu
passer car la 2ème DB du Général Leclerc contrôle
déjà ces villages. En conséquence, ils remontent
vers Joué-du-Bois et certains restent en attente sur notre commune.
C’est ainsi que sept véhicules investissent le village
de La Chauvinière : deux sont logés sous le hangar dans
le champ de Monsieur LEGENDRE situé face à l’entrée
du chemin du hameau. Dans la même parcelle, deux véhicules
sont à l’écart, assez loin du hangar : ce sont des
voitures civiles, réquisitionnées par les Allemands, dont
une SIMCA 5.
Près de l’entrée du chemin conduisant (au Tergot)
aux Tregots et jouxtant le champ de Monsieur LEGENDRE, est installé
un canon anti-char français de 47 mm, utilisé par l’Occupant.
Un camion bâché – dont le chargement n’est
pas connu – est stationné dans la cour face à la
maison LEGENDRE : la « patronne » intervient pour le faire
déplacer car ce véhicule peut être pris pour cible
par les avions mais, malgré une longue discussion, les Allemands
refusent.
Un autre camion, chargé de munitions, est posté dans
la parcelle située au-dessus de l’entrée du village,
face au hangar.
Un dernier camion, chargé de barils de 200 litres d’essence,
est stationné près du petit hangar dans le prolongement
de la maison PIQUET.
Un tel rassemblement n’avait pas échappé à
la vigilance de l’aviation américaine : des P47 «
Thunderbolt », probablement car ils furent employés majoritairement
durant ces journées inoubliables, surgissent et mitraillent.
Les gens du village gagnent l’abri, c’est-à-dire
une tranchée qui avait été creusée «
au cas où ». Celle-ci, située en bordure de l’ancien
chemin en prolongement de la cour de Madame GÉLINIER, est vaste
et bien protégée. Pendant le mitraillage, les familles
GÉLINIER, LEGENDRE et RICHET ainsi que Monsieur GERVAIS et «
Nanette », mère de Lucien RICHET, y avaient trouvé
place, soit en tout plus de vingt personnes.
Les tirs durent depuis un bon moment… difficile à évaluer
car, dans ces circonstances, le temps semble bien long !
Deux Allemands armés font irruption dans la tranchée
ce que Monsieur LEGENDRE n’apprécie pas du tout car, si
les Américains arrivent et se trouvent en présence d’Allemands,
ils risquent de jeter des grenades… Aussi, dès qu’il
y a une accalmie, elle quitte le lieu, suivie de sa famille et tous
vont se mettre à l’abri d’une haie.
Une bombe est tombée à l’entrée du chemin
de La Chauvinière, à proximité du hangar où
sont cachés les camions ; son souffle a éparpillé
les fagots de la « barge » qui se trouvait à proximité.
Le hangar est en feu et les camions brûlent. Une deuxième
bombe est arrivée dans le jardin situé derrière
la maison de Madame GELINIER ?actuellement maison Eric THOMAS?, pas
très loin du camion de munitions, heureusement non atteint. Ces
bombes étaient sans doute des « soufflantes » car
il n’y avait pas de cratères et juste des impacts. Les
autres camions et voitures n’ont pas été touchés.
Dans l’entrée de la grange située dans le prolongement
de la maison LEGENDRE, une cage à tourterelles est accrochée
au mur. L’oiseau qui s’y trouvait avait le dessus du bec
arraché par une balle ou un éclat. Des impacts sont visibles
sur le mur. Au cours du mitraillage, un soldat Allemand fut blessé
et ensuite transporté sur une porte prélevée dans
les bâtiments de la maison LEGENDRE.
Dans la soirée de cette journée « mouvementée
», la famille LEGENDRE s’en va passer la nuit dans une petite
maison à droite en bordure du chemin qui rejoint Géradé
et qui se trouve un peu à l’écart du village : tous
se sentent là plus en sécurité que près
de la route. Une partie des Allemands sont partis le lendemain vers
Monthard en suivant le chemin du (Tergot) des Tregots… Que sont-ils
devenus ?

EN FORME DE SUITE
Par André ROBERT
Le 16 août, des convois américains montent vers Joué-du-Bois
(dans une huitaine de jours, ils feront le trajet à l’envers
!). Des Américains campent toujours dans les champs à
La Cornière… L’envie me prend d’aller voir
la famille RICHET qui était réfugiée à La
Chauvinière chez « Nanette », mère de Lucien.
J’avais en effet fait mon apprentissage de galochier chez Lucien
RICHET et il m’importait de savoir comment ils avaient vécu
la Libération.
Je pars. Les convois américains encombrent la route. Arrivé
au bas du bourg, je prends la route de Ciral direction Géradé.
A gauche en chemin, je tourne vers La Chauvinière.
Je trouve la famille RICHET dans un petit champ à proximité
de la maison de « Nanette » : tous sont en bonne santé
et ont passé ces journées périlleuses sans dommages.
Sur place et tout en parlant à Lucien, j’aperçois
plusieurs Américains assis dans l’herbe et qui discutent.
Un autre, débout, se rase : c’est son casque lourd qui
lui sert de cuvette !
Une dizaine de jours plus tard, Jean LAGRUE et moi-même sommes
partis démonter des obus perforants de « 47 ». Ils
ne sont pas dangereux selon des dames et amies de Lignières qui
voulaient disposer de douilles en cuivre devenues à la mode du
moment !
Ces obus, comme la plupart des autres munitions, mines, balles de fusil,
grenades…. proviennent du camion chargé qui avait séjourné
ici. Tout est dispersé sur l’herbe et la plupart des boîtes
en bois ou en métal ont déjà disparu.
A part le canon et les obus de 47 mm qui sont français, tout
le reste est allemand.
Beaucoup plus tard, en 1945, des artificiers regrouperont tout ce qui
traîne encore sur la commune en quelques lieux (Forêt de
Monnaye, La Cornière, La Plaine route de Saint-Calais) et feront
sauter l’ensemble.
A propos de la SIMCA 5 dont il a été question plus haut,
il pourrait s’agir du véhicule abandonné ensuite,
le 14 août, avant d’arriver à la petite chapelle
située face à la route du Grassion en allant vers Joué-du-Bois.
Ce véhicule, réquisitionné ou volé par
les Allemands, était pourtant très inconfortable, notamment
à l’arrière et il n’avait pas la faveur de
l’Occupant mais nécessité a pu faire loi.
Le moteur de cette voiture terminera sa carrière sur une faucheuse
: il entraînait la mécanique tandis que le cheval tractait
l’ensemble…
extrait du BM n°23 - An 2009