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LIGNIERES ORGERES

HISTOIRE
AVANT-GUERRE : UNE ALIMENTATION DISPARUE

Par André ROBERT

Le Sarrasin
Le souper du soir était souvent fait avec de la bouillie de « carabin » assez consistante. On mettait plusieurs cuillerées de cette bouillie dans un bol de lait frais, prélevé de préférence à la sortie de la traite, alors qu'il était encore tiède. La bouillie devenait compacte dans le lait et l'ensemble était délicieux.
Quant il en restait, on la disposait sur un plat : en refroidissant, elle figeait et devenait assez dure. Le lendemain, elle était découpée en lamelles puis frite au beurre dans la poêle. Ma Grand-mère disait : « on va faire frire les poissons » que nous mangions au repas du midi. Cette double pratique subsiste encore à Lignières.

La « soupe de lait baratté »
A la maison, on mangeait au souper, une fois par semaine, de la « soupe de lait baratté » que l'on
allait chercher à la ferme de Monsieur CATOIS qui était voisine de notre demeure.
On nous donnait deux litres de lait issu de la fabrication du beurre car, chaque semaine, ce dernier
était fabriqué pour la consommation de la famille et le surplus vendu au camion ESNULT
« Beurre et Oeufs » de Couptrain qui venait au marché de Lignières, chaque vendredi, et achetait
ce qui était amené par les cultivatrices.
Ma mère faisait chauffer ce petit-lait dans une marmite, taillait du pain dans une soupière puis
versait le contenu de la marmite dans la soupière. Quelques minutes plus tard, quant le pain était
bien trempé, nous consommions cette soupe qui avait une saveur aigrelette que j'aimais bien.
Cette pratique a disparu avec la collecte de la crème puis du lait par les laiteries

Le pain
Quelques fermes faisaient encore leur pain dans leur four. C'était le cas de la maison FRESNAY à FEtre-au-Roy où la Mère de Georges pétrissait la pâte, une fois par mois environ. Etant copain avec lui, il arrivait que je me trouve à la ferme le jour de la cuisson : nous avions alors droit à la dégustation du pain chaud. Qu'il était bon ! En plus, elle préparait quelques gâteaux ainsi qu'un bourdin aux pommes et nous avions droit chacun à une part de ce succulent produit régional. De notre côté, nous prenions notre pain à la boulangerie CATOIS, au bourg. Nous consommions le pain de six-livres. En ce temps-là, le pain était vendu au poids et, si le compte n'y était pas, le boulanger ajoutait un morceau que l'on appelait « la pesée ». Quand je prenais le pain à la sortie de l'école, il m'arrivait souvent de manger la pesée sur le chemin du retour à la maison. Une fois par semaine, le père CHAUVIN faisait la tournée pour le boulanger en allant de village en village. Il passait chez nous dans la soirée avec son cheval et sa carriole ; nous lui prenions un pain de six-livres. Contrairement à la pratique en boulangerie, les pains vendus en tournée n'étaient pas pesés. Une famille de notre voisinage qui se composait de sept personnes achetait un pain de douze-livres.

La boisson familiale
A la maison, la boisson était le cidre. Mon Grand-père récoltait des pommes mais pas suffisamment pour remplir ses tonneaux ; alors il en achetait cinquante « barratées » à un habitam de La Vannerie.
Nous avions un grugeoir à main pour écraser les pommes. Le pressoir, c'est mon Père qui l'avail fabriqué mais comme il n'avait pas de cage, il fallait « faire la motte » à la paille de seigle (comme celle qui servait pour les toitures en chaume). Mon Père savait la faire et, quand elle était montée, il fallait la serrer pour en extraire le jus puis attendre que celui-ci s'écoule avant de serrer à nouveau car on devait éviter que le jus ne passe par-dessus les rigoles du pressoir ; l'opération était répétée plusieurs fois. Quand le « béron » (beillon en patois-récipient souvent en granité par où s'écoule le cidre du pressoir) était plein, mon Grand-père et mon Père transportaient le cidre avec des seaux dans la cave et emplissaient le premier tonneau de « pur jus ». Pour les deux autres tonneaux, ce sera du jus de « repilé » : la motte n'étant pas complètement étreinte, on enlevait le marc de pressoir en le découpant avec le coupe-marc puis on le mettait à tremper avec beaucoup d'eau dans des auges pendant une nuit. On refaisait ensuite la motte qui était étreinte au maximum. Le jus, mis en tonneaux, allait servir de boisson journalière. Quant au pur jus, il terminait en bouteilles de cidre bouché au printemps suivant. Par la suite, Mon Père avait fabriqué une cage de pressoir avec des chevrons ce qui simplifiait le montage de la motte.
Quand le cidre avait « bouilli » au cours de son premier mois en tonneau et s'était débarrassé, par la bonde restée ouverte, des impuretés contenues dans le jus des pomme, on replaçait la bonde encore quelque temps et le cidre commençait à pétiller ; il fallait alors le mettre en bouteille. C'est à ce moment-là que l'on prélevait du cidre, mélangé à du sucre, pour faire la « miottée » : le mélange était chauffé sans bouillir et on le versait dans un bol sur du pain rôti. Avec du cidre froid et par le même procédé, on obtenait une boisson rafraîchissante. En campagne, certains faisaient du « flip », mélange de sucre, de cidre et de « goutte » (calvados) chauffé et, il me semble, flambé. Cette boisson était souvent consommée dans la région. Il paraissait qu'elle chassait la grippe !

    ( extrait du bulletin municipal N°22 de 2008 par André ROBERT)