Le Sarrasin
Le souper du soir était souvent fait avec de la bouillie de
« carabin » assez consistante. On mettait plusieurs cuillerées
de cette bouillie dans un bol de lait frais, prélevé
de préférence à la sortie de la traite, alors
qu'il était encore tiède. La bouillie devenait compacte
dans le lait et l'ensemble était délicieux.
Quant il en restait, on la disposait sur un plat : en refroidissant,
elle figeait et devenait assez dure. Le lendemain, elle était
découpée en lamelles puis frite au beurre dans la poêle.
Ma Grand-mère disait : « on va faire frire les poissons
» que nous mangions au repas du midi. Cette double pratique
subsiste encore à Lignières.
La « soupe de lait baratté
»
A la maison, on mangeait au souper, une fois par semaine, de la
« soupe de lait baratté » que l'on
allait chercher à la ferme de Monsieur CATOIS qui était
voisine de notre demeure.
On nous donnait deux litres de lait issu de la fabrication du beurre
car, chaque semaine, ce dernier
était fabriqué pour la consommation de la famille
et le surplus vendu au camion ESNULT
« Beurre et Oeufs » de Couptrain qui venait au marché
de Lignières, chaque vendredi, et achetait
ce qui était amené par les cultivatrices.
Ma mère faisait chauffer ce petit-lait dans une marmite,
taillait du pain dans une soupière puis
versait le contenu de la marmite dans la soupière. Quelques
minutes plus tard, quant le pain était
bien trempé, nous consommions cette soupe qui avait une saveur
aigrelette que j'aimais bien.
Cette pratique a disparu avec la collecte de la crème puis
du lait par les laiteries
Le pain
Quelques fermes faisaient encore leur pain dans leur four. C'était
le cas de la maison FRESNAY à FEtre-au-Roy où la Mère
de Georges pétrissait la pâte, une fois par mois environ.
Etant copain avec lui, il arrivait que je me trouve à la
ferme le jour de la cuisson : nous avions alors droit à la
dégustation du pain chaud. Qu'il était bon ! En plus,
elle préparait quelques gâteaux ainsi qu'un bourdin
aux pommes et nous avions droit chacun à une part de ce succulent
produit régional. De notre côté, nous prenions
notre pain à la boulangerie CATOIS, au bourg. Nous consommions
le pain de six-livres. En ce temps-là, le pain était
vendu au poids et, si le compte n'y était pas, le boulanger
ajoutait un morceau que l'on appelait « la pesée ».
Quand je prenais le pain à la sortie de l'école, il
m'arrivait souvent de manger la pesée sur le chemin du retour
à la maison. Une fois par semaine, le père CHAUVIN
faisait la tournée pour le boulanger en allant de village
en village. Il passait chez nous dans la soirée avec son
cheval et sa carriole ; nous lui prenions un pain de six-livres.
Contrairement à la pratique en boulangerie, les pains vendus
en tournée n'étaient pas pesés. Une famille
de notre voisinage qui se composait de sept personnes achetait un
pain de douze-livres.
La boisson familiale
A la maison, la boisson était le cidre. Mon Grand-père
récoltait des pommes mais pas suffisamment pour remplir ses
tonneaux ; alors il en achetait cinquante « barratées
» à un habitam de La Vannerie.
Nous avions un grugeoir à main pour écraser les pommes.
Le pressoir, c'est mon Père qui l'avail fabriqué mais
comme il n'avait pas de cage, il fallait « faire la motte
» à la paille de seigle (comme celle qui servait pour
les toitures en chaume). Mon Père savait la faire et, quand
elle était montée, il fallait la serrer pour en extraire
le jus puis attendre que celui-ci s'écoule avant de serrer
à nouveau car on devait éviter que le jus ne passe
par-dessus les rigoles du pressoir ; l'opération était
répétée plusieurs fois. Quand le « béron
» (beillon en patois-récipient souvent en granité
par où s'écoule le cidre du pressoir) était
plein, mon Grand-père et mon Père transportaient le
cidre avec des seaux dans la cave et emplissaient le premier tonneau
de « pur jus ». Pour les deux autres tonneaux, ce sera
du jus de « repilé » : la motte n'étant
pas complètement étreinte, on enlevait le marc de
pressoir en le découpant avec le coupe-marc puis on le mettait
à tremper avec beaucoup d'eau dans des auges pendant une
nuit. On refaisait ensuite la motte qui était étreinte
au maximum. Le jus, mis en tonneaux, allait servir de boisson journalière.
Quant au pur jus, il terminait en bouteilles de cidre bouché
au printemps suivant. Par la suite, Mon Père avait fabriqué
une cage de pressoir avec des chevrons ce qui simplifiait le montage
de la motte.
Quand le cidre avait « bouilli » au cours de son premier
mois en tonneau et s'était débarrassé, par
la bonde restée ouverte, des impuretés contenues dans
le jus des pomme, on replaçait la bonde encore quelque temps
et le cidre commençait à pétiller ; il fallait
alors le mettre en bouteille. C'est à ce moment-là
que l'on prélevait du cidre, mélangé à
du sucre, pour faire la « miottée » : le mélange
était chauffé sans bouillir et on le versait dans
un bol sur du pain rôti. Avec du cidre froid et par le même
procédé, on obtenait une boisson rafraîchissante.
En campagne, certains faisaient du « flip », mélange
de sucre, de cidre et de « goutte » (calvados) chauffé
et, il me semble, flambé. Cette boisson était souvent
consommée dans la région. Il paraissait qu'elle chassait
la grippe !