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LIGNIERES ORGERES

HISTOIRE

 

L' AFFOUAGE
L'affouage : une pratique ancienne . . et d'avenir

par Christian Ferault(1)

 

L'affouage consiste en la possibilité pour les habitants d'une commune de recevoir une partie de la production des forêts appartenant à celle-ci. Ce n'est pas un droit acquis pour les bénéficiaires mais une éventualité qui dépend d'une décision du conseil municipal en accord avec l'Office national des forêts (ONF) gestionnaire de ces espaces (cf. encadrés).

 

Regards sur le passé
L'histoire des agricultures nous apprend que, depuis l'Antiquité, la forêt (silva) a toujours joué des rôles essentiels. À partir des reliques des peuplements primaires et des forêts secondaires reconstituées, les habitants en tiraient du bois de feu et des bois d'oeuvre nécessaires aux constructions, aux outils, aux ustensiles ou à la confection des sabots. Chasse et cueillette diverses y étaient activement conduites et les produits obtenus permettaient de varier et compléter le maigre ordinaire céréalier. Ils y trouvaient par ailleurs matière à pâturage pour leurs animaux, au moins à certaines saisons.

 

Dans les premiers temps de cette économie, compte tenu d'une faible pression des individus, la forêt n'était pas appropriée et chacun venait se servir selon ses besoins (c'est ce qu'on appelle le « furetage »). Mais, avec le temps, les prélèvements et l'accroissement de la population, des problèmes de reconstitution de la ressource se sont posés. Le bois d'oeuvre, notamment, finit par manquer et la limite entre taillis maigre et pâturage (saltus) devint imprécise.
Des mesures furent prises en conséquence, notamment la « mise en défens » : pendant n années, toute exploitation humaine et animale était interdite. On imagine les craintes et les conflits qui ont dû alors se produire, spécialement durant les périodes plus froides.
La forêt, réputée inépuisable, était devenue une ressource limitée que l'on devait ménager et apprendre à reconstituer.
Le moyen-âge est caractérisé - comme on le sait - par une forte attaque des ressources forestières en raison de l'augmentation de la population, des besoins accrus pour les bâtiments, le chauffage et la métallurgie puis la construction navale et aussi à cause de l'extension des territoires labourés, fauchés ou pâturés.
Le bois manque dès le Xllème siècle mais de façon variable selon les types de peuplement, leur distance des habitations et le poids des seigneurs de tous ordres. Les parcelles dépendant de ces derniers, souvent étendues, avec droit de chasse exclusif, seront maintenues sous le régime de la futaie, bénéfique à terme pour la société ... mais très injuste pour l'énorme majorité de la population obligée de consacrer de plus en plus de moyens pour pourvoir à ses besoins en bois. Ailleurs, ce sera la mise en place du taillis sous futaie, exploité tous les vingt ou trente ans, à l'exception des gros arbres réservés aux puissants. Sinon, les simples taillis, fréquemment coupés, voire furetés, s'étendront.
Dès cette époque, les trois grands modes d'exploitation forestière que nous connaissons coexistent, mais dans des proportions qui varient beaucoup selon les régimes, les rapports entre les gens, les densités de peuplement - humain et ligneux - et les nombreux usages

Durant les siècles qui suivirent, la réduction des surfaces boisées fut beaucoup moins conséquente, dépendant des besoins en terres, des nouveaux outillages pour défricher et des variations de population.
Notons que la situation que nous connaissons aujourd'hui (plus de 27 % du territoire est boisé) est récente : il y a centre trente ans, par exemple, la forêt ne couvrait que 17 % du pays. Les opérations de reboisement ont été particulièrement importantes depuis 1946.


Les forêts communales aujourd'hui
Représentant environ 2,5 millions d'hectares, elles ont une double origine :
- situées pour la plupart en dehors des régions de production agricole intensive, elles proviennent d'anciennes forêts ou de « communaux » reboisés naturellement et qui appartenaient ainsi depuis longtemps à ces collectivités,
- issues du partage d'anciens massifs royaux, seigneuriaux ou monacaux, elles correspondent à des fractions accordées à des communes en échange de l'abandon des droits à usage dont elles bénéficiaient auparavant sur la totalité.
Ces forêts, situées pour l'essentiel dans le Nord-Est du pays, en zones de montagne, en Aquitaine, dans les départements méditerranéens et en Corse, sont soumises au régime forestier. Par ailleurs, près de 500.000 hectares en régions Aquitaine et PACA sont gérées directement par les collectivités.
Au total, plus de 40 % des communes françaises possèdent des forêts, souvent petites (40 % des massifs couvrent moins de 50 hectares et 8 % plus de 500 hectares), les surfaces dépendant de l'histoire régionale et de ses aléas. Certaines, dans le midi, sont très pauvres et dégradées, souvent, comme par le passé, à la limite entre prés et bois en altitude.


De façon globale, les peuplements des forêts communales sont de qualité moyenne avec une large prédominance des taillis sous futaie et des taillis, spécialement en plaine : cela correspond à l'héritage d'une « vocation » destinée au bois de chauffage et tient au coût que représente la conversion en futaie ; cependant, la situation évolue favorablement depuis une trentaine a années.
C'est dans ce cadre et ce contexte que se situe la pratique de l'affouage qui, après moult déchirements et contentieux au cours des siècles, s'est distinguée, au XIXème, d'autres droits d'usage en ne s'exerçant plus que dans les bois dont la commune est propriétaire.
Il y a eu remplacement d'un droit de jouissance collective séculaire par un droit personnel sur certains produits ligneux mais, bien entendu, sans appropriation privée.


L'affouage concrètement
C'est donc le con seil municipal qui décide d'instituer, de modifier ou de mettre fin à l'affouage. Le droit personnel des habitants n'est, en conséquence, pas acquis.
Qui sont les bénéficiaires ? Ce sujet a alimenté de nombreux textes et réflexions. Actuellement, ce sont les personnes ayant leur domicile « permanent » (réel et fixe) sur la commune et inscrites en mairie dans le but d'obtenir un lot. Les résidents secondaires en sont donc exclus.
Quel est le mode de partage ? Le principe de base est celui de l'égalité entre les habitants candidats. La répartition peut être faite « par feu » (chef de famille ou de ménage, même s'il s'agit d'une seule personne) ou par tête de résident permanent, ou encore selon un mélange de ces deux formules compte tenu des usages ... et de souhaits.
Comme se déroule la procédure ? Le maire dresse d'abord le rôle, c'est-à-dire la liste nominative des bénéficiaires puis le conseil municipal donne son avis. Une fois l'accord obtenu, le document est transmis au préfet.
Le bois « affouagé» est partagé sur pied et un permis d'exploiter collectif est fourni par l'ONF. Les lots sont tirés au sort et leurs limites marquées sur le terrain.
Une garantie est apportée par trois habitants solvables, choisis par le conseil municipal et responsables entre eux : les « garants ». Ceux-ci manifestent, en droit et au plan symbolique, la solidarité entre les bénéficiaires quant à ce bien « commun » et organisent la réparation d'éventuels dommages causés par l'un ou l'autre des affouagistes.
Chacun dispose d'un délai pour exploiter, ce qu'il peut faire lui-même ou en faisant appel à un autre allocataire, voire à un entrepreneur.
Cette activité est considérée comme du bénévolat, couvert par l'assurance responsabilité civile mais avec déclaration à la Mutualité sociale agricole par la commune.
L 'opération est-elle gratuite ? Dans certaines communes oui, dans d'autres, une taxe d'affouage est demandée sur avis du conseil municipal et prélevée comme une contribution directe. Elle s'élève à quelques euros par stère, fonction aussi des difficultés de récolte ... et des habitudes, l'ensemble devant demeurer attractif.


La quantité potentielle allouée à chaque affouagiste dépend et de la ressource et des besoins. Mais sachant que le chauffage d'une maison nécessite de dix à quinze stères selon les régions, on dispose là du seuil généralement retenu.
On imagine de suite les variables à prendre en compte pour que l'opération soit praticable : la surface totale disponible, la durée de révolution entre les passages (de 20 à 50 ans) et le nombre théorique d'attributaires.


Existe-t-il d'autres devoirs pour les acteurs ?
Cette pratique s'inscrit dans une gestion pérenne de la forêt. Aujourd'hui, il s'agit essentiellement de prélever du bois de chauffage et donc de valoriser au mieux les arbres d'avenir (futaie). Par ailleurs, chaque affouagiste est tenu de protéger les jeunes plants du futur et d'en détruire d'autres, notamment ceux des espèces à éliminer car invasives ou brûlant facilement.
On a affaire à une réglementation de bons sens qui ménage le bien commun en le préparant à son exploitation par les générations futures. Rien à voir donc avec les pratiques mécanisées que l'on connaît aujourd'hui, très dégradantes pour les sols et peu prévoyantes de l'avenir. Économie oblige ...
Bien que les données chiffrées soient assez approximatives, on estime que les coupes d'affouage, réalisées en forêt communale, s'élèvent à environ un million de mètres cube par an, soit une très faible partie du bois énergie utilisé en France mais elles représentent un « avantage » important pour les bénéficiaires, la vie rurale et l'entretien intelligent et à coût presque nul des forêts communales.


Des avantages certains, individuels et collectifs
Au niveau individuel, l'intérêt premier de l'affouage est celui de disposer de bois de chauffage pour un coût minime ... à condition de lui consacrer le temps et les efforts nécessaires ! Ce point s'inscrit pleinement et dans le développement — impératif pour le pays — de l'usage des énergies renouvelables et dans les aides publiques associées au combustible bois (crédits d'impôt pour l'achat d'appareils performants et sûrs).
Mais cela va plus loin avec une implication personnelle dans la vie communale, une forme certaine de convivialité entre les affouagistes et un maintien de lien social dans les campagnes dont on a bien besoin, notamment dans les régions peu peuplées.
Collectivement, les intérêts sont évidents. L'affouage permet de favoriser une sylviculture de qualité, de maintenir une diversité de la flore et de la faune en inscrivant la forêt communale dans un développement durable et ce, de façon presque gratuite : ce patrimoine naturel et aussi culturel est entretenu et les liens entre les ruraux et leurs forêts resserrés.
Un autre avantage, et non des moindres, réside, en zones à risques d'incendie - les communes du Midi et de Corse disposent de nombreuses forêts -, dans la réalisation concomitante à la coupe, du débroussaillage et de la sélection des espèces et des arbres d'avenir.

A une époque où une certaine désaffection pour cette pratique est notée, il nous a paru nécessaire de la présenter sommairement et d'en montrer l'importance pour la société. Des évolutions seront sans doute à inventer...

 

(1) Christian Ferault est docteur d'Etat ès sciences et agrégé d'économie

Différents textes encadrent aujourd'hui la pratique de l'affouage :
- dans le Code forestier, les articles L 145-1 (généralités), L 145-2 (modes
de répartition entre les habitants), L 145-3 (durée de résidence réelle et fixe) et L 147-2 (paiement des charges) ainsi que R 138-28 (calcul de la quotité annuelle),
- dans le Code général des collectivités territoriales, l'article L 2241-7
(adjudication pour un centre communal d'action sociale).
Quelques données chiffrées :
Bien que très variable selon l'essence, les conditions de croissance, le niveau de séchage ... et aussi le rendement de l'appareil de chauffage et la qualité de l'installation, on peut retenir qu'un kilo de bois correspond à un demi-litre de fuel domestique.
Si l'on retient une quantité de 15 stères nécessaires au chauffage d'une maison pendant la saison hivernale, ce seront donc près de 4.000 litres de fuel qui ne seront pas utilisés et remplacés par une source d'énergie renouvelable, très pauvre en soufre, locale et utilisable en l'état.
Les bois et forêts communaux, gérés par l'Office national des forêts (ONF), représentent plus de 16 % de l'ensemble forestier français, soit près de 2,5 millions d'hectares très inégalement répartis sur le territoire national, avec une production brute annuelle voisine de 15 millions de m3, mais dont la « récolte » se situe seulement entre un tiers et la moitié. La part du « bois de feu » est très faible : pour l'ensemble de la forêt nationale, elle correspond à 50 à 55 millions de stères (soit environ 8 millions de TEP).

Le mot affouage dérive de l'ancien verbe affouer qui signifiait « faire du feu » ou « fournir du chauffage ». On note l'origine latine « focus » (foyer, feu).
Il est actuellement défini comme le droit de prélever du bois de chauffage dans une forêt communale et désigne aussi la part de bois qui revient à chacun des bénéficiaires ou affouagistes.
L'affouage correspond, en conséquence, à :
- la répartition entre les habitants d'une commune de bois provenant de forêts communales ou sectionnales en vue de satisfaire des besoins domestiques,
- la zone sur laquelle seront réalisées les coupes (et qui change donc chaque année),
- la ressource en bois de chauffase - de construction éventuellement - exploitée dans le cadre de ce partage.