Dans les premiers temps de cette économie,
compte tenu d'une faible pression des individus, la forêt n'était
pas appropriée et chacun venait se servir selon ses besoins
(c'est ce qu'on appelle le « furetage »). Mais, avec le
temps, les prélèvements et l'accroissement de la population,
des problèmes de reconstitution de la ressource se sont posés.
Le bois d'oeuvre, notamment, finit par manquer et la limite entre
taillis maigre et pâturage (saltus) devint imprécise.
Des mesures furent prises en conséquence, notamment la «
mise en défens » : pendant n années, toute exploitation
humaine et animale était interdite. On imagine les craintes
et les conflits qui ont dû alors se produire, spécialement
durant les périodes plus froides.
La forêt, réputée inépuisable, était
devenue une ressource limitée que l'on devait ménager
et apprendre à reconstituer.
Le moyen-âge est caractérisé
- comme on le sait - par une forte attaque des ressources forestières
en raison de l'augmentation de la population, des besoins accrus pour
les bâtiments, le chauffage et la métallurgie puis la
construction navale et aussi à cause de l'extension des territoires
labourés, fauchés ou pâturés.
Le bois manque dès le Xllème siècle mais de façon
variable selon les types de peuplement, leur distance des habitations
et le poids des seigneurs de tous ordres. Les parcelles dépendant
de ces derniers, souvent étendues, avec droit de chasse exclusif,
seront maintenues sous le régime de la futaie, bénéfique
à terme pour la société ... mais très
injuste pour l'énorme majorité de la population obligée
de consacrer de plus en plus de moyens pour pourvoir à ses
besoins en bois. Ailleurs, ce sera la mise en place du taillis sous
futaie, exploité tous les vingt ou trente ans, à l'exception
des gros arbres réservés aux puissants. Sinon, les simples
taillis, fréquemment coupés, voire furetés, s'étendront.
Dès cette époque, les trois grands modes d'exploitation
forestière que nous connaissons coexistent, mais dans des proportions
qui varient beaucoup selon les régimes, les rapports entre
les gens, les densités de peuplement - humain et ligneux -
et les nombreux usages
Durant les siècles
qui suivirent, la réduction des surfaces boisées fut
beaucoup moins conséquente, dépendant des besoins en
terres, des nouveaux outillages pour défricher et des variations
de population.
Notons que la situation que nous connaissons aujourd'hui (plus de
27 % du territoire est boisé) est récente : il y a centre
trente ans, par exemple, la forêt ne couvrait que 17 % du pays.
Les opérations de reboisement ont été particulièrement
importantes depuis 1946.
Les forêts communales aujourd'hui
Représentant environ 2,5 millions d'hectares, elles ont une
double origine :
- situées pour la plupart en dehors des régions de production
agricole intensive, elles proviennent d'anciennes forêts ou
de « communaux » reboisés naturellement et qui
appartenaient ainsi depuis longtemps à ces collectivités,
- issues du partage d'anciens massifs royaux, seigneuriaux ou monacaux,
elles correspondent à des fractions accordées à
des communes en échange de l'abandon des droits à usage
dont elles bénéficiaient auparavant sur la totalité.
Ces forêts, situées pour l'essentiel dans le Nord-Est
du pays, en zones de montagne, en Aquitaine, dans les départements
méditerranéens et en Corse, sont soumises au régime
forestier. Par ailleurs, près de 500.000 hectares en régions
Aquitaine et PACA sont gérées directement par les collectivités.
Au total, plus de 40 % des
communes françaises possèdent des forêts, souvent
petites (40 % des massifs couvrent moins de 50 hectares et 8 % plus
de 500 hectares), les surfaces dépendant de l'histoire régionale
et de ses aléas. Certaines, dans le midi, sont très
pauvres et dégradées, souvent, comme par le passé,
à la limite entre prés et bois en altitude.
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De façon globale, les peuplements des forêts communales
sont de qualité moyenne avec une large prédominance
des taillis sous futaie et des taillis, spécialement en plaine
: cela correspond à l'héritage d'une « vocation
» destinée au bois de chauffage et tient au coût
que représente la conversion en futaie ; cependant, la situation
évolue favorablement depuis une trentaine a années.
C'est dans ce cadre et ce contexte que se situe la pratique de l'affouage
qui, après moult déchirements et contentieux au cours
des siècles, s'est distinguée, au XIXème, d'autres
droits d'usage en ne s'exerçant plus que dans les bois dont
la commune est propriétaire.
Il y a eu remplacement d'un droit de jouissance collective séculaire
par un droit personnel sur certains produits ligneux mais, bien entendu,
sans appropriation privée.
L'affouage concrètement
C'est donc le con seil municipal qui décide d'instituer, de
modifier ou de mettre fin à l'affouage. Le droit personnel
des habitants n'est, en conséquence, pas acquis.
Qui sont les bénéficiaires
? Ce sujet a alimenté de nombreux textes et réflexions.
Actuellement, ce sont les personnes ayant leur domicile « permanent
» (réel et fixe) sur la commune et inscrites en mairie
dans le but d'obtenir un lot. Les résidents secondaires en
sont donc exclus.
Quel est le mode de partage ? Le principe de base est celui de l'égalité
entre les habitants candidats. La répartition peut être
faite « par feu » (chef de famille ou de ménage,
même s'il s'agit d'une seule personne) ou par tête de
résident permanent, ou encore selon un mélange de ces
deux formules compte tenu des usages ... et de souhaits.
Comme se déroule la procédure ? Le maire dresse d'abord
le rôle, c'est-à-dire la liste nominative des bénéficiaires
puis le conseil municipal donne son avis. Une fois l'accord obtenu,
le document est transmis au préfet.
Le bois « affouagé» est partagé sur pied
et un permis d'exploiter collectif est fourni par l'ONF. Les lots
sont tirés au sort et leurs limites marquées sur le
terrain.
Une garantie est apportée
par trois habitants solvables, choisis par le conseil municipal et
responsables entre eux : les « garants ». Ceux-ci manifestent,
en droit et au plan symbolique, la solidarité entre les bénéficiaires
quant à ce bien « commun » et organisent la réparation
d'éventuels dommages causés par l'un ou l'autre des
affouagistes.
Chacun dispose d'un délai pour exploiter, ce qu'il peut faire
lui-même ou en faisant appel à un autre allocataire,
voire à un entrepreneur.
Cette activité est considérée comme du bénévolat,
couvert par l'assurance responsabilité civile mais avec déclaration
à la Mutualité sociale agricole par la commune.
L 'opération est-elle gratuite ? Dans certaines communes oui,
dans d'autres, une taxe d'affouage est demandée sur avis du
conseil municipal et prélevée comme une contribution
directe. Elle s'élève à quelques euros par stère,
fonction aussi des difficultés de récolte ... et des
habitudes, l'ensemble devant demeurer attractif.
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La quantité potentielle allouée à chaque affouagiste
dépend et de la ressource et des besoins. Mais sachant que
le chauffage d'une maison nécessite de dix à quinze
stères selon les régions, on dispose là du seuil
généralement retenu.
On imagine de suite les variables à prendre en compte pour
que l'opération soit praticable : la surface totale disponible,
la durée de révolution entre les passages (de 20 à
50 ans) et le nombre théorique d'attributaires.
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Existe-t-il d'autres devoirs
pour les acteurs ?
Cette pratique s'inscrit dans une gestion pérenne de la forêt.
Aujourd'hui, il s'agit essentiellement de prélever du bois
de chauffage et donc de valoriser au mieux les arbres d'avenir (futaie).
Par ailleurs, chaque affouagiste est tenu de protéger les jeunes
plants du futur et d'en détruire d'autres, notamment ceux des
espèces à éliminer car invasives ou brûlant
facilement.
On a affaire à une
réglementation de bons sens qui ménage le bien commun
en le préparant à son exploitation par les générations
futures. Rien à voir donc avec les pratiques mécanisées
que l'on connaît aujourd'hui, très dégradantes
pour les sols et peu prévoyantes de l'avenir. Économie
oblige ...
Bien que les données chiffrées soient assez approximatives,
on estime que les coupes d'affouage, réalisées en forêt
communale, s'élèvent à environ un million de
mètres cube par an, soit une très faible partie du bois
énergie utilisé en France mais elles représentent
un « avantage » important pour les bénéficiaires,
la vie rurale et l'entretien intelligent et à coût presque
nul des forêts communales.
Des avantages certains, individuels
et collectifs
Au niveau individuel, l'intérêt premier de l'affouage
est celui de disposer de bois de chauffage pour un coût minime
... à condition de lui consacrer le temps et les efforts nécessaires
! Ce point s'inscrit pleinement et dans le développement —
impératif pour le pays — de l'usage des énergies
renouvelables et dans les aides publiques associées au combustible
bois (crédits d'impôt pour l'achat d'appareils performants
et sûrs).
Mais cela va plus loin avec
une implication personnelle dans la vie communale, une forme certaine
de convivialité entre les affouagistes et un maintien de lien
social dans les campagnes dont on a bien besoin, notamment dans les
régions peu peuplées.
Collectivement, les intérêts sont évidents. L'affouage
permet de favoriser une sylviculture de qualité, de maintenir
une diversité de la flore et de la faune en inscrivant la forêt
communale dans un développement durable et ce, de façon
presque gratuite : ce patrimoine naturel et aussi culturel est entretenu
et les liens entre les ruraux et leurs forêts resserrés.
Un autre avantage, et non des moindres, réside, en zones à
risques d'incendie - les communes du Midi et de Corse disposent de
nombreuses forêts -, dans la réalisation concomitante
à la coupe, du débroussaillage et de la sélection
des espèces et des arbres d'avenir.
A une
époque où une certaine désaffection pour cette
pratique est notée, il nous a paru nécessaire de la
présenter sommairement et d'en montrer l'importance pour la
société. Des évolutions seront sans doute à
inventer...
(1) Christian Ferault est docteur d'Etat ès
sciences et agrégé d'économie
Différents textes encadrent
aujourd'hui la pratique de l'affouage :
- dans le Code forestier, les articles L 145-1 (généralités),
L 145-2 (modes
de répartition entre les habitants), L 145-3 (durée
de résidence réelle et fixe) et L 147-2 (paiement
des charges) ainsi que R 138-28 (calcul de la quotité annuelle),
- dans le Code général des collectivités
territoriales, l'article L 2241-7
(adjudication pour un centre communal d'action sociale). |
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Quelques données chiffrées
:
Bien que très variable selon l'essence, les conditions
de croissance, le niveau de séchage ... et aussi le rendement
de l'appareil de chauffage et la qualité de l'installation,
on peut retenir qu'un kilo de bois correspond à un demi-litre
de fuel domestique.
Si l'on retient une quantité de 15 stères nécessaires
au chauffage d'une maison pendant la saison hivernale, ce seront
donc près de 4.000 litres de fuel qui ne seront pas utilisés
et remplacés par une source d'énergie renouvelable,
très pauvre en soufre, locale et utilisable en l'état.
Les bois et forêts communaux, gérés par l'Office
national des forêts (ONF), représentent plus de 16
% de l'ensemble forestier français, soit près de
2,5 millions d'hectares très inégalement répartis
sur le territoire national, avec une production brute annuelle
voisine de 15 millions de m3, mais dont la « récolte
» se situe seulement entre un tiers et la moitié.
La part du « bois de feu » est très faible
: pour l'ensemble de la forêt nationale, elle correspond
à 50 à 55 millions de stères (soit environ
8 millions de TEP).
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Le mot affouage
dérive de l'ancien verbe affouer qui signifiait «
faire du feu » ou « fournir du chauffage ».
On note l'origine latine « focus » (foyer, feu).
Il est actuellement défini comme le droit de prélever
du bois de chauffage dans une forêt communale et désigne
aussi la part de bois qui revient à chacun des bénéficiaires
ou affouagistes.
L'affouage correspond, en conséquence, à :
- la répartition entre les habitants d'une commune de bois
provenant de forêts communales ou sectionnales en vue de
satisfaire des besoins domestiques,
- la zone sur laquelle seront réalisées les coupes
(et qui change donc chaque année),
- la ressource en bois de chauffase - de construction éventuellement
- exploitée dans le cadre de ce partage.
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