La Roche-d'Orgères s'élève à 1,2 kilomètre
au sud du bourg d'Orgères-la-Roche. C'est un amas de blocs de
grès qui constitue un curiosité naturelle.
Jadis, en cet endroit, l'influence des druidesses se perpétua
chez les Gaulois malgré les efforts des premiers évangélisateurs
et... en dépit des édits impériaux. On attribuait
à ces prêtresses le pouvoir de métamorphoser les
hommes en animaux de toutes les espèces et plus particulièrement
en loups. Elles parvenaient à se mettre à l'abri des poursuites
sévères intentées par l'Église, en établissant
leur demeure dans des lieux cachés, au fond des puits desséchés,
au plus profond des cavernes ou au bord des torrents. C'est dans ces
endroits qu'elles recevaient les hommages d'un peuple ignorant et crédule.
La Roche-d'Orgères fut, dit-on, une demeure de fées. Elle
demeure la plus belle curiosité de cette région ; elle
mesure 40 mètres de long sur 12 mètres de hauteur. Quelques
blocs, à eux seuls, se composent de plus de 20 mètres
cubes de pierre. Cette roche ne pouvait exister sans être l'objet
de légendes.
Il était une fois une fée qui désirait bâtir
un magnifique château dans la Basse-Normandie. Ne trouvant pas
la pierre nécessaire à cette construction dons son pays,
elle décida d'aller la chercher dans la région d'Alençon.
Comme en ces temps reculés il n'y avait ni voiture, ni chemin
de fer, la fée décida de transporter sur son dos les pierres
qui lui conviendraient. Elle se mit donc au travail et fit plusieurs
voyages sans histoires. Cependant au cours de l'un d'eux, elle attacha
mal son paquet et elle perdit une grande partie de ses pierres dans
les champs qui se trouvaient sur son passage. Comme elle constata que
la charge qu'elle avait sur le dos n'était plus suffisante pour
continuer son voyage jusqu'à son domaine, elle résolut
de déposer le reste des pierres au lieu-dit la Roche puis elle
retourna à l'endroit où elle prenait son chargement pour
confectionner un fardeau complet. Et, entièrement à sa
laborieuse besogne, elle oublia les pierres que l'on peut toujours voir
à l'endroit où elle les abandonna.
La disposition des Pierres de la Roche-d'Orgères, par rapport
aux champs voisins et aux points cardinaux, ont pu conforter cette légende
; en effet les prés qui sont situés à l'est possèdent
une quantité de blocs alors que du côté ouest il
n'y en a pas.
La Roche-d'Orgères fut, dit la légende, une demeure de
fées.
Elles obéissaient toutes à un reine appelée "Quasnon".
Elle résidait dans une grotte. A cette lointaine époque,
tout le monde vantait les richesses de la fée Quasnon ! Bien
sûr, on ne les vit jamais car ces trésors inestimables,
conservés dans la chambre de la reine, étaient gardés
par de petits nains velus, noirs et hideux. Un bon nombre de braves
campagnards assuraient avoir rencontré, le soir, au clair de
lune, à proximité des pierres, ces nains qui étaient
perfides et incorruptibles.
Ces fées et ces nains avaient l'humeur malicieuse; malgré
leurs relations peu sûres, on profitait très souvent de
leurs bons offices. Les uns pouvaient tresser la queue des chevaux à
l'écurie; les autres ne demandaient pas mieux de balayer la maison
pendant le sommeil du fermier ou de préparer la crème.
On affirme même que ces êtres étaient capables d'aller
faire une commission urgente en ville, sur une monture plus rapide que
le vent.
Les fées écoutaient tous les vœux de la population.
L'ouvrier qui égarait un outil, la ménagère qui
perdait un ustensile de cuisine devaient dire : «Ah, si j'avais
celui des fées de la Roche !» et leur vœu était
aussitôt exaucé.
Les nains pouvaient également se montrer serviables. Le laboureur
qui avait besoin d'une paire de boeufs, pour le travail du lendemain,
devait aller à la Roche, la veille au soir, la nuit tombée.
Il demandait un couple de bœufs capables de faire une journée
"comme quatre" pour le lendemain et on le lui promettait !
Il devait se garder de donner un nom à ces animaux, sous peine
de les voir devenir rétifs.
Le lendemain, avant l'aube, au pied de la Roche, le laboureur trouvait
deux boeufs noirs, déjà attachés au joug. Ils fendaient
le sillon sans relâche et sans prendre aucune nourriture, jusqu'au
soir. La journée terminée, ils reprenaient sagement le
chemin de la Roche. Quant au paysan exténué, il ne manquait
pas de déposer cinq petites pièces de monnaie dans une
sébile qui était toujours attachée au joug des
animaux.
Nous ne quitterons pas La Roche-d'Orgères sans parler du
trésor des fées, une énorme somme d'argent qui
est renfermée dans une ou deux barriques liées avec des
cercles de fer. Il est enfoui sous une énorme pierre, au nord
de La Roche, et il est impossible à aucun mortel de l'enlever.
Un fait, paraît-il, authentique, se rattache à ce trésor.
L'auteur fut, dit-on, contemporain des "anciens" qui vécurent
dans la paroisse d'Orgères-la-Roche.
Il était une fois un ouvrier qu'on surnommait Lormière.
Chaque année, il allait travailler dans la Beauce, au moment
des moissons. Un jour, il rencontra un individu qui assurait savoir
des choses secrètes. C'était un de ces bergers, souvent
en rapport avec le Diable, qui connaissait tous les enchantements et
les effets merveilleux. Cet obligeant sorcier se moqua de Lormière.
Il lui assura qu'il se donnait beaucoup de mal pour rien car il y avait
à La Roche une "busse d'argent" sous une grosse pierre
qui pouvait faire son bonheur pour le restant de ses jours. Pour s'en
emparer, il fallait attendre la nuit et surtout ne pas avoir peur de
certaines choses capables de l'effrayer.
D'abord incrédule, notre homme ne fit rien et oublia cette curieuse
rencontre.
L'année suivante, retrouvant... par hasard, le sorcier, il reçut
le même encouragement, au même endroit.
Cette fois-ci, Lormière se laissa convaincre, et au moment favorable,
il se mit à l'œuvre; il creusa sous la pierre qui lui avait
été désignée. Suant, soufflant, il creusa
tant et si bien qu'il mit à découvert la fameuse "busse"
d'argent qu'il trouva comme elle lui avait été dépeinte.
Tout à sa joie, il aperçut soudain un lièvre à
trois pattes qui vint s'asseoir sur la pierre qui bascula sur le trésor
et... depuis ce jour, on n'a plus jamais rien vu ! L'histoire ajoute
que le pauvre Lormière s'était laissé persuader
que les fées exposaient, chaque année, au moment de Noël,
à minuit, leur argent pour l'aérer un peu. Il décida
de s'en emparer mais il le trouva gardé par deux puissants dogues.
Ceux-ci se mirent à grincer des dents et s'apprêtaient
à le dévorer. On dit que, ce jour-là, il ne courut
jamais aussi vite de sa vie !
Nous allons terminer notre séjour avec les fées d'Orgères
avec l'histoire suivante:
Au hameau du Plessis, une fée venait souvent pendant les longues
veillées d'hiver. Elle tenait compagnie à une femme pendant
l'absence de son mari. Elle descendait par la cheminée de la
maison ; elle se plaçait au coin de l'âtre et regardait
la maîtresse du logis. Ennuyée par ces visites importunes,
celle-ci se concerta avec son époux pour trouver le moyen de
se débarrasser de cet étrange visiteur. Après un
bon moment de réflexion, ils trouvèrent une idée
géniale : le mari emprunterait les vêtements de sa femme
et prendrait sa place au coin du feu en faisant semblant de filer. Ce
qui fut décidé fut fait ! La fée descendit comme
à l'ordinaire; elle regardait tourner le rouet qui, ce soir-là,
ne produisait pas de fil. Elle dit d'une intelligible voix: «La
Belle des soirs tournait et voguait et dans son fuseau attourotait;
mais celle-ci tourne et vogue et dans son fuseau, rien n'attournotte».
La prétendue fileuse se leva brusquement en lui demandant son
nom. Je m'appelle "Moi-Même" répondit la fée.
Au même instant le maître des lieux lui jeta du feu sur
le corps. La fée s'échappa par la cheminée en s'écriant:
«A moi, je brûle !... » Depuis ce-temps là,
on n'a plus jamais revu de fées à Orgères !