LES SOURCES
DE SAINT URSIN ( L' OR BLEU )
Un lieu religieux jusqu'en 1790
Au début du XIVème siècle, Guillaume de Doucelle,
exécuteur testamentaire de Guy VIII de Laval en 1295, souhaitait
fonder un prieuré à Saint-Ursin (appartenant à l'ordre
des Croisiers ou chanoines réguliers de la Sainte Croix, un ordre
réligieux issu des croisades) « Moyennant une rente de 20
sols, assise en bon lieu près du Mans », il put « obtenir
le domaine de St Ursin avec toutes ses dépendances », avec
le consentement de Robert de Clinchamp, evêque du Mans, le 10 septembre
1302. Il appela aussitôt les religieux de Sainte Croix de Caen qui
vinrent s'établir sur le domaine peu de temps après son
acquisition. Guillaume leur donna la Maladrerie de Couptrain avec tous
usages en la forêt de Monnaie, branche volée et arbres morts,
droit de pacage en la forêt pour leurs bêtes de la mi-janvier
à la mi-avril, ainsi que trois chênes annuels. « En
contrepartie, les moines devaient « chanter dans leur chapelle trois
jours par semaine une messe pour la rémission de l'âme du
bienfaiteur » Ils jouissaient du « droit de coustume, estalage,
persage de tonneaux et autres vaisseaux, tant cidre que vin, au jour et
feste de St Ursin (11 juin) et en toute assemblée qui s'y pourraient
tenir ».
En 1434, le prieuré reçut des lettres de sauvegarde des
Anglais. Il subit le pillage des hugenots qui enlevèrent le prieur,
Jacques Dupont. Cependant l'établissement était encore prospère
au XVIème siècle et pendant la première moitié
du XVIIème. En 1510, à la suite de donations, héritages
et achats, il recouvrait une superficie de 90 ha, laquelle atteindra 120
ha un siècle plus tard. Malgré la « suppression de
droit », M.Léchevin conserva son titre de prieur jusqu'en
1790.
La chapelle, d'après les restes de ses fondations, pouvait présenter
une forme de 26 m de long sur 8 m de large. Les documents restent muets
sur la date de sa construction attribuée aux frères Philippe
Bouvier (6ème prieur, 1433 - 1461) et Jehan de Hallaine (7eme prieur,
1461). Elevé sur l'emplacement d'un édifice ruineux, ce
sanctuaire abritait les statues de saintt Ursin, saint Côme et saint
Damien. En 1675, il reçut douze stalles que l'on peut voir aujourd'hui
dans l'église de Couptrain. Au début du XXème siècle,
il servait, depuis lorgtemps déjà, de fenil et d'étape.
Seul son chevet, « percé de deux fenêtres géminées
dans le style ogival du XIVème siècle "; a pu résister
à l'effondrement qui eut lieu dans la nuit du 24 au 25 décembre
1929 .
Une eau bénéfique
« Le lieu-dit St Ursin porte le même nom que le ruisseau qui
y paresse avant d'aller grossir la Gourbe. dans le département
de l'Orne (...). L'ancienne chapelle de St Ursin était bâtie
sur l'emplacement même d'une source chaude qui passe dans le pays
pour jouir de vertus miraculeuses. La « source bouillonnante »,
d'abord dédiée à des divinités païennes,
fut christianisée par des ermites venus se fixer à proximité
de la forêt de la Monnaie pour former un ermitage. Elle avait des
vertus curatives et thérapeutiques et était indiquée
comme source thermale sur les anciennes cartes du Maine ; en 1690, l'Intendant
de Tours signalait « les eaux minérales de Lignières
». D'après la tradition, « son eau même épandue
dans les prairies environnantes ne gèle pas l'hiver ". En
effet, avant sa captation par Bagnoles-de-1'Orne, cette eau sortait de
terre à une température d'environ 14°6. On venait à
jeun y plonger la chemise des nouveaux-nés, celle des enfants atteints
de convulsions ou de maladie de peau ou tout simplement le linge de corps
personnel pour se préserver des maladies ».
Outre son caractère sacré, l'eau de cette source est aussi
particulièrement saine. Géologiquement située sur
la croupe de la forêt de la Motte, elle est alimentée par
des eaux profondes situées au contact des grès et des schistes,
enrichies par des eaux de surface. Au niveau de Saint-Ursin, ces roches
qui datent de l'ère primaire (470 millions d'années) sont
recouvertes d'une épaisse couche de sable déposés
par d'anciennes rivières présentes dans la région
il y a près de 50 millions d'années
Et une eau source de conflit
Dans les années 1920, Bagnoles-de-l'Orne, ville thermale en expansion,
connait des besoins croissants en eau potable. La station a en effet le
vent en poupe : hôtels luxueux et villas élégantes
poussent comme des champignons, tandis que les hôtes prestigieux
accourent. Hormis la source thermale, les moyens de la cité ne
permettent pas d'assurer la demande en eau potable des curistes à
la belle saison : les aquifères de la région (nappes d'eau
souterraines) sont superficiels et les sources généralement
de faible débit. Très vite, une solution se profile : à
une douzaine de kilomètres à l'est de Bagnoles, sur la commune
de Lignières la Doucelle, la source de Saint Ursin est connue depuis
l' Antiquité.
Proximité et qualité : il n'en fallait pas plus pour que
Bagnoles de l'Orne s'intéresse sérieusement à l'eau
de St Ursin. Mais déjà un problème apparait : la
commune de Lignières la Doucelle appartient au département
de la Mayenne et le préfet local n'entend pas laisser capter son
"eau" sans rien dire. Alors en cure à Bagnoles, le président
du gouvernement Edouard Herriot reçoit la visite du maire de la
station, le docteur Le Muet, qui le convainc de l'intérêt
de la source pour développer sa cité. Cette intervention
porte ses fruits. Un décret du président de la République
Alexandre Millerand reconnait d'utilité publique les travaux à
entreprendre à St Ursin pour l' adduction en eau potable des villes
de Bagnoles de l'Orne et Tessé la Madeleine. Le 9 novembre 1925,
un jury d'expropriation reçoit la mission d'évaluer l'entreprise.
La source devient enfin propriété du syndicat intercommunal
des eaux de Bagnoles de l'Orne! En 1927, un aqueduc est même réalisé
sur 15 kms par l'ingénieur Auguste Bruneau sans recours à
un appareil de pompage, la gravitation naturelle se révélant
suffisante. Des années plus tard , Jean Tonnellier, notaire et
maire de Lignières-Orgères de 1977 à 2001, se souvient
encore des difficultés rencontrées pour faire appliquer
le décret initial face à des communes ornaises devenues
un peu trop gourmande en eau ....
Aménagée dès 1923, approfondie en 1973, la source
de Saint-Ursin continue encore, en grande partie d'alimenter en eau la
ville de Bagnoles (production annuelle de 320 000 m3 en 1996). Certes
, plus personne ne vient se recueillir à la source sacrée,
désormais cachée des regards. Protégée, controlée,
cette dernière a désormais perdu ses pouvoirs surnaturels
mais fait toujours partie du patrimoine commun, tout comme son histoire.
Voir article du Parc Normandie Maine
(Source : La Mayenne De village en village de Gilbert Chaussis (Siloë
Editeur))
(autre source : Journal de mars 2011 "Monts de
Normandie et du Maine" du Parc Naturel régional)
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